Le président US n’a aucun problème à ne pas faire grand cas de l’implication de Ben Salmane dans l’affaire de l’assassinat du journaliste dissident saoudien. Ce n’est guère étonnant : il a voulu sauver des contrats d’armements, mais aussi des négociations susceptibles d’offrir à Riyad les moyens de fabriquer l’arme atomique.
Le monde entier en était témoin : le président américain Donald Trump a plutôt relativisé l’implication du prince héritier saoudien dans l’assassinat du journaliste critique de Riyad.
Le journal français Le Point revient sur les raisons des hésitations de Donald Trump à reconnaître l’implication de Mohammed ben Salmane dans le meurtre. Sans grande surprise, ce sont des contrats militaires bien lucratifs qu’il a voulu sauver. Pourtant, se référant au journal américain The New York Times, l’article parle aussi et surtout d’un autre aspect des « special relationships » américano-saoudiennes dont M. Trump a préféré ne pas parler ces derniers temps.
« Pour justifier ses hésitations à incriminer le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS), soupçonné par la CIA d’avoir commandité l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, Donald Trump n’hésite pas à mentionner les 110 milliards de contrats d’armes que les États-Unis ont conclus avec l’Arabie saoudite en 2017.
Cependant, il existe un tout autre aspect de la relation stratégique américano-saoudienne que le pensionnaire de la Maison-Blanche s’est bien gardé d’évoquer au cours des dernières semaines.
Avec pour titre “Comment Trump vend l’atome à l’Arabie saoudite ?”, le journal français Le Point évoque ensuite des négociations en cours entre les États-Unis et l’Arabie saoudite qui, au final, permettront aux Saoudiens de se doter de l’arme nucléaire.
“D’après le New York Times, l’administration Trump serait en négociation avec l’Arabie saoudite pour lui vendre des réacteurs nucléaires. Conduites depuis 2017 par le département américain de l’Énergie, ainsi que le département d’État, les discussions porteraient sur un montant avoisinant 80 milliards de dollars [soit 65 milliards d’euros].” »
Le journal précise que le 5 novembre dernier, le prince héritier saoudien a posé en grande pompe, à la Cité des sciences de Riyad, la première pierre du premier réacteur de recherche nucléaire du royaume, sur les seize prévus au cours des deux prochaines décennies, selon l’agence de presse officielle saoudienne SPA.
16 réacteurs nucléaires
« D’après le New York Times, la construction des deux premiers réacteurs serait confiée à la firme américaine Westinghouse, qui opérerait sur place par le biais d’entreprises sud-coréennes. Secrètes, les négociations sont conduites par le secrétaire d’État à l’Énergie Rick Perry, qui s’est rendu à Riyad fin 2017, affirme le quotidien américain. En février dernier, il était à Londres pour discuter d’un accord de non-prolifération nucléaire de type 1-2-3, sur le modèle de ceux qui ont déjà été conclus avec la Corée du Sud, l’Inde et les Émirats arabes unis. Il prévoit la fourniture à l’Arabie saoudite de combustible sur une durée de dix à quinze ans. Mais problème : les Saoudiens ont d’ores et déjà refusé. »
Vers une course à la bombe au Moyen-Orient ?
C’est là que la partie saoudienne pose ses conditions. D’après Le Point, le ministre saoudien de l’Énergie, Khalid al-Falih, a indiqué que le royaume des Saoud souhaitait enrichir lui-même son uranium, alors qu’il lui coûterait moins cher d’importer le combustible depuis l’extérieur.
À faible niveau d’enrichissement (moins de 5 %), ce procédé permet de produire le combustible nécessaire pour fabriquer de l’électricité ou pour la production d’isotopes médicaux, qui servent à diagnostiquer certains cancers, précise l’article.
« Mais, s’il est enrichi à 90 %, l’uranium peut servir à fabriquer la bombe atomique, ce qui est formellement interdit en vertu du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), que l’Arabie saoudite a signé, mais pas ratifié. »
Le texte ajoute que les déclarations officielles saoudiennes ne font qu’alimenter la suspicion. En mars dernier, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a assuré, dans une interview à la chaîne américaine CBS, que « l’Arabie saoudite ne veut pas acquérir la bombe nucléaire ».
Mais bien que les autorités iraniennes des plus hauts niveaux aient plus d’une fois affirmé que l’arme atomique n’a aucune place dans la doctrine militaire et défensive du pays, le prince saoudien ne manque pas de profiter du débat autour du programme nucléaire iranien pour entrouvrir la porte à cette possibilité.
« Sans aucun doute, si l’Iran développait une bombe nucléaire, nous suivrions sans attendre. »
Ces allégations, que Le Point appelle « avertissement », ont été depuis répétées par le ministre saoudien de l’Énergie, ainsi que par son homologue des Affaires étrangères, Adel al-Joubeir. « Or l’Arabie saoudite est, avec les États-Unis, Israël et les Émirats arabes unis, l’un des rares pays à dénoncer l’accord sur le nucléaire iranien, dont ils estiment que la durée limitée dans le temps — dix ans — n’écarte pas, à terme, le risque d’une bombe atomique iranienne », ajoute le journal.
L’auteur de l’article rappelle par la suite que les Saoudiens ne sont d’ailleurs pas des amateurs en matière de nucléaire militaire.
« C’est en effet l’Arabie saoudite qui a financé l’obtention par le Pakistan de la bombe atomique dans les années 1980. C’est encore Riyad qui, d’après le New York Times, a acheté en 1988 à la Chine des missiles de moyenne portée conçus pour porter des têtes nucléaires, chimiques ou biologiques.
À l’heure où Donald Trump fait preuve de certaines largesses vis-à-vis de son allié moyen-oriental, englué dans l’affaire Khashoggi, au nom des intérêts commerciaux des États-Unis, nombreux sont ceux qui se demandent si le président américain ne serait pas en train d’ouvrir la voie à une nucléarisation de l’Arabie saoudite, prélude à une course généralisée à la bombe au Moyen-Orient. »
L’article fait référence, par la suite, à l’agence de presse Reuters d’après laquelle cinq influents sénateurs américains, démocrates et républicains, dans une lettre envoyée fin octobre au locataire de la Maison-Blanche, l’ont exhorté à suspendre les négociations nucléaires en cours avec Riyad, menaçant d’utiliser leur veto dans le cas contraire (ils auraient besoin de la majorité dans les deux chambres).
D’après l’article, la lettre des élus américains précisait : « Les révélations en cours au sujet du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, ainsi que certaines actions saoudiennes au Yémen et au Liban, ont suscité de sérieuses inquiétudes quant à la transparence, la responsabilité et le jugement des dirigeants actuels en Arabie saoudite. »
Reste à voir jusqu’au ira le chef d’État et ancien homme d’affaires américain pour préserver ses relations spéciales avec l’Arabie. Sera-t-il prêt à provoquer les contestations virulentes des législateurs américains, même au sein de son entourage proche ?