« Ils représentent une nouvelle génération plus fanatique et plus rapidement mobilisable que les générations précédentes ». En lisant les premières conclusions d’une étude effectuée par un centre d’études saoudien officiel, le Centre du roi Fayçal pour les recherches et les études, sur les saoudiens qui ont rejoint Daech, on est bien loin de l’approche objective sur les raisons qui ont amené un grand nombre de jeunes saoudiens à rejoindre les rangs de la nébuleuse d’Al-Qaïda en Syrie.
Dans ses conclusions rendues publiques dans une conférence organisée le dimanche 24 février à Riyad, lors de l’intervention de son directeur pour les études sécuritaires le prince Abdallah Khaled ben Saoud, des omissions et des erreurs méthodiques, si ce n’est des mystifications sont visibles l’œil nu pour ceux qui connaissent cette étape.
Daech sans le front al-Nosra
La première lacune est celle de se contenter de répertorier ceux qui ont suivi Daech et non le front al-Nosra, la deuxième émanation d’Al-Qaïda. Sachant que les deux milices ont été infestées par des combattants saoudiens. Jusqu’à présent, le front al-Nosra a su échapper au sort de son frère ennemi, en changeant d’appellation. Il occupe actuellement la totalité de la province syrienne d’Idleb, sous le nom Hayat Tahrir al-Cham.
Des documents exfiltrés
La deuxième lacune est liée aux sources de l’étude. Le prince saoudien a dit s’être basé sur les quantités énormes de documents secrets qui ont été exfiltrés en 2016 et qui comptent une banque d’informations sur les nouveaux recrus qui ont tenté de rejoindre Daech en Syrie.
Différents médias golfiques ont évoqué depuis cette date ces documents exfiltrés, sans expliquer d’où et surtout comment ils l’ont été. A cette date, la plupart des zones occupées par Daech ont été libérées par les forces syriennes gouvernementales et leurs alliés. Les allégations saoudiennes ressemblent beaucoup à celle du Premier ministre israélien Benjamin Natanyahu sur les sois-disant documents exfiltrés du programme nucléaire iranien.
Des chiffres mensongers
Autre lacune de taille concerne le nombre des saoudiens qui ont rejoint Daech.
L’étude saoudienne parle de 759. Un chiffre bien en deçà de celui qui avait été répertorié par des organisations internationales : entre 2500 et 3000. Il est même en deçà de celui qui avait été fourni par le ministère saoudien de l’Intérieur en décembre 2016 : « 2093, dont 70% sont en Syrie », selon le site en ligne de la télévision émiratie Sky news, citant son porte-parole le colonel Mansour Turki.
Alors que le centre allemand Firil avait évoqué 24.500 saoudiens qui auraient rejoint Daech.
Le wahhabisme oublié
En consultant les conclusions ayant trait à la quête des causes de cet afflux des saoudiens en direction de Daech, on observe mieux les omissions de l’étude.
«Leur fanatisme a été la riposte à des évènements et des circonstances contemporaines et nouvelles. Et non pas en raison d’expériences précédentes.
Les guerres, la violence, l’instabilité, et l’absence de sécurité créent l’environnement dans lequel prolifère l’extrémisme », est-il dicté. Sans aucune allusion au rôle de l’idéologie wahhabite. Cette école islamique qui est la religion d’Etat en Arabie saoudite depuis la fondation du royaume est la plus rigoriste de toutes. Elle ne se contente pas d’apostasier les adeptes des autres écoles mais autorise leur décimation.
Dans le prolongement, l’étude passe sous silence les accusations imputées à juste titre à l’Arabie d’avoir envoyé ces jeunes en Syrie et en Irak pour y renverser des pouvoirs jugés pro iraniens.
La main de Bandar ben Sultane
Plusieurs observateurs le confirment, dont le chercheur et opposant saoudien D. Fouad Ibrahim et auteur de plusieurs ouvrages sur l’Etat saoudo-wahhabite.
Dans une étude publié par le journal libanais al-Akhbar en avril 2014, il souligne que c’est surtout lorsque l’ex-chef des renseignements saoudien Bandar ben Sultane a pris en charge le dossier syrien entre l’été 2012 et la fin de 2013 qu’un grand nombre de saoudiens ont commencé à affluer vers Al-Qaïda. Ils répondaient à une importante campagne de mobilisation dans tout le royaume qui en appelait à la guerre, faisant sien le célèbre slogan wahhabite : le sang le sang, la destruction la destruction.
Toujours selon le chercheur et opposant saoudien, c’est le vice-ministre saoudien de la Défense Salmane ben Sultane qui a été le proche collaborateur de Bandar et chargé du suivi des affaires des combattants saoudiens en Syrie. Il s’était installé en Jorda
nie pour le faire.
Des dirigeants, des religieux, des militaires, des suicidaires
Dans son étude basée sur les sites jihadistes en Syrie, D. Ibrahim constate aussi que les combattants saoudiens ont occupé de postes clés au sein de Daech en Syrie, comme au sein du front al-Nosra. Il rapporte les noms de religieux éminents, qui étaient également présents parmi eux dont le plus célèbre cheikh Abdallah al-Mohaycini qui a été pendant un certain moment leur arbitre pour régler leurs différends, ainsi que Othmane al-Nazeh al-Assiri, qui est doctorant en jurisprudence à l’université du roi Khaled… Ainsi que des militaires saoudiens.
Il constate qu’un grand nombre d’auteurs d’opérations-suicides étaient aussi des Saoudiens.
Selon lui, l’un des plus grands terroristes saoudiens en Syrie a été Abdel Aziz al-Sabei qui avait pour mission de recruter des combattants saoudiens via les réseaux sociaux en utilisant deux comptes, Al-Mouwahhed (L’unificateur) et Qital (Guerre).
Toutes ces informations et d’autres font défaut à l’étude saoudienne, laquelle semble par dessus tout vouloir laver les mains de l’Arabie de la guerre en Syrie. Via des chiffres et des données formulées en des termes scientifiques.
Source: Divers