Près de deux ans après l’effondrement du géant de la construction Saudi Oger, qui a laissé des milliers de personnes sans emploi, l’ouvrier libanais Mohammed est toujours bloqué à Ryad où il risque d’être arrêté.
La disparition en 2017 de l’entreprise appartenant à la famille du Premier ministre libanais Saad Hariri a poussé des milliers de ses employés à quitter le royaume avec des salaires impayés et sans indemnités.
Mais nombre d’entre eux, comme Mohammed, 60 ans, qui a travaillé pendant 35 ans pour cette compagnie, sont toujours bloqués en Arabie saoudite.
Si l’expiration du permis de séjour de Mohammed rend sa présence illégale, il ne peut pas partir en raison d’un prêt bancaire non remboursé.
« Je suis prisonnier », déclare l’ouvrier rencontré dans l’appartement d’un autre ex-employé de Saudi Oger, qui se trouve dans une situation identique.
« Quand je veux sortir, je choisis un moment où il n’y a pas de barrages » policiers, dit-il alors que l’Arabie saoudite fait la chasse aux migrants en situation irrégulière.
Les deux travailleurs ont demandé que leurs véritables identités ne soient pas révélées.
Le montant de leurs prêts ne représente qu’une fraction de ce que leur doit Saudi Oger, selon des documents consultés par l’AFP.
Sans permis de résidence, ils n’ont pas le droit de trouver un emploi et tant que leurs dettes ne sont pas remboursées, ils ne peuvent obtenir un visa de sortie du pays.
Cette situation illustre l’absurdité du système de parrainage (kafala) pratiqué en Arabie saoudite et qui met le salarié à la merci de son employeur, en le bloquant lorsque ce dernier fait faillite.
On ignore le nombre d’ex-employés de Saudi Oger – qui en comptait 40.000 – dans une telle situation.
Les responsables de la société et le ministère saoudien du Travail se sont refusés à tout commentaire.
« Où est la justice? »
« Les employés ayant contracté des prêts pour des voitures ou des logements n’ont pas le droit de partir tant qu’ils n’ont pas remboursé, conformément à la réglementation » saoudienne, déclare Wissam Saab, ex-employé de 48 ans qui a quitté le royaume l’année dernière après avoir été soutenu financièrement par des parents.
« Personne ne les aide », dit-il à l’AFP depuis Beyrouth.
Le ralentissement dans la construction, qui a employé une main-d’œuvre nombreuse ces dernières années sur fond de baisse des prix du pétrole, a bouleversé la vie de millions de travailleurs en Arabie saoudite.
Les ex-employés de Saudi Oger, de France au Liban en passant par l’Inde et les Philippines, attendent toujours des arriérés de salaires.
De nombreux employés en détresse postent régulièrement des factures impayées sur les réseaux sociaux en suppliant leurs gouvernements d’intervenir.
« Où est l’Arabie saoudite? Où est la justice? Où est l’humanité? », scandaient des anciens de l’entreprise lors d’une récente manifestation devant l’ambassade saoudienne à Beyrouth. « Nous demandons nos droits, pas la charité ».
Certains ex-employés sont morts de maladies qu’ils n’ont pu soigner faute d’assurance.
« Ils ont été expulsés morts du royaume », déclare Shahnaz Ghayad, qui offre des conseils juridiques aux travailleurs d’Oger à Beyrouth.
« Combattre le désespoir »
Un emploi à Saudi Oger, entreprise qui a rapporté des milliards de dollars à la famille Hariri et en a fait une force politique au Liban, était présenté comme sûr.
En quatre décennies, l’entreprise a construit des bâtiments grandioses, dont l’hôtel Ritz-Carlton de Ryad et l’Université Princesse Noura.
Les difficultés de l’entreprise, qui dépend de contrats de l’Etat, ont débuté lorsque le premier exportateur de pétrole, confronté à la chute des prix, a commencé à réduire les dépenses publiques en 2014-2015.
D’anciens salariés attribuent aussi ses problèmes aux liens fluctuants entre la famille Hariri et les dirigeants du royaume saoudien.
En 2018, Ryad a créé une commission chargée de restructurer la dette de plusieurs milliards de dollars de Saudi Oger, mais n’a rien laissé filtrer sur ses activités.
« Le fait que la famille Hariri ait une relation politique avec le gouvernement complique les choses », estime Karen Young de l’American Enterprise Institute.
En attendant, les ex-employés de Saudi Oger n’ont d’autre choix que d’attendre.
« Lutter seuls contre le désespoir », affirme un graffiti sur des logements abandonnés à Ryad.
Source: AFP