Dernièrement, la maire de Paris Anne Hidalgo a inauguré dans le XVIIe arrondissement de la capitale, à l’angle de la rue de Courcelles et du boulevard de Reims, à deux pas du Centre européen du Judaïsme une « Place Jérusalem ». Tout cela sous l’injonction et la bénédiction exclusive de la communauté juive de France et celle des autorités israéliennes. Selon son propre entourage, ce geste était résolument destiné à s’attirer les faveurs d’un « vote confessionnel » pour les prochaines élections municipales de Paris. Lamentable, parfaitement lamentable, d’autant que la « Ville trois fois sainte » abrite justement, aussi, les « lieux saints » des Chrétiens et des Musulmans. Ainsi, les Palestiniens qui appartiennent à ces deux religions, ont une double légitimité sur la ville et le droit – malgré l’occupation et la colonisation étrangères – d’espérer, un jour, faire de Jérusalem la capitale de leur Etat !
Anne Hidalgo le fait elle exprès ? Elle met en scène cette insupportable provocation au moment même où Donald Trump multiplie les agressions contre l’Iran, après, justement, le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem et la reconnaissance de l’annexion du plateau du Golan syrien. Elle voudrait mettre le feu dans « sa » ville qu’elle ne s’y prendrait pas autrement. Je veux parler des retombées qui ne manqueront pas d’attiser les confrontations entre la clientèle pro-israélienne et les associations en faveur de la libération de la Palestine. Ce faisant, Anne Hidalgo piétine allègrement les centaines de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, prises sur l’occupation de la Palestine et le statut de Jérusalem, « ville internationale », qui devrait être administrée par les Nations Unies et non par la soldatesque israélienne !
L’auteur de ces lignes l’a expérimenté à de nombreuses reprises lorsqu’il écrivait – avec Pierre Péan – Bethléem en Palestine : est-il normal d’avoir à passer, durant des heures, sous les fourches caudines des services israéliens (à l’aéroport Ben Gourion ou sur le pont Allenby) pour se rendre dans la ville de la Nativité ou dans d’autres lieux saints chrétiens comme Abou Gosh, le Saint Sépulcre ou le Mont des Oliviers ?
Pourquoi devoir montrer patte blanche aux seules autorités israéliennes d’occupation pour se rendre en des lieux classés par l’UNESCO « patrimoine de l’Humanité » ?
En inaugurant cette « place de Jérusalem », le 30 juin dernier, envers et contre les positions et déclarations officielles régulièrement réitérées par le Quai d’Orsay et l’Elysée2 pour le respect du droit international concernant les Territoires palestiniens occupés – dont Jérusalem -, Anne Hidalgo rejoint le triste cortège des délinquants internationaux. Elle viole en toute connaissance de cause les sacro-saints principes de la laïcité républicaine, tout en osant affirmer que sa provocation est un « signe de paix ». Anne Hidalgo prend-elle à ce point les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages ? Ravalée en vulgaire trumpette, elle sait parfaitement qu’elle agit en défaveur de toute espèce d’apaisement. Un « temps mort » (!) susceptible de relancer les discussions israélo-palestiniennes… Tout cela pour l’unique bénéfice de petite popotte politicienne, électoralo-nombriliste !
En soi, la création d’une « place Jérusalem » ne pose aucun problème explique un diplomate palestinien : « la décision de créer une ‘place de Jérusalem’ à Paris ne nous choquait pas du tout, bien au contraire. En raison de son empreinte historique, de son statut de Ville sainte pour les fidèles des trois religions monothéistes – chrétiens, juifs et musulmans –, de sa nature de métropole binationale et de son rôle futur de capitale de deux États, Israël et Palestine, Jérusalem méritait largement cet honneur. On aurait même pu imaginer, dans ces conditions, une cérémonie d’inauguration à laquelle auraient participé, côte à côte, le maire israélien et le gouverneur palestinien de la ville. Le symbole aurait été éloquent ».
Mais tel n’était pas le but de Anne Hidalgo qui répondait en fait à une demande écrite du président du consistoire des communautés juives de Paris-Île-de-France, datée du 20 février 2019. Et l’étude de la correspondance et des échanges qui ont suivi est parfaitement éloquente ! Dans l’un de ces derniers articles, le journaliste René Backmann écrit : « rappelant à la maire de Paris les propos qu’elle avait tenus en janvier lors de la visite à l’hôtel de ville du président israélien Reuven Rivlin, Joël Mergui, président du consistoire, évoquait l’existence jusqu’en 1883 d’une rue de Jérusalem, « aux abords du palais de justice » et souhaitait cette création, « comme un défi à la haine et au défaitisme », d’une « place de Jérusalem ».
La suite est du même tonneau : « ne serait-ce pas là une réponse sans ambiguïté à tous ceux qui délégitiment l’histoire juive ? écrivait Joël Mergui. Ne serait-ce pas là, chère Madame la Maire, une manière de marquer l’ancrage de Paris et de la France aux côtés d’Israël certes, mais aussi des juifs parisiens, et d’affirmer ainsi la continuité et la légitimité historique des juifs français à vivre français et juifs à Paris et en France, après plus de 2 000 ans de présence pacifique et constructrice. Cette proposition, si elle était adoptée par le conseil municipal, de créer la « place de Jérusalem » au cœur même du nouveau centre de la vie juive parisienne et française pour devenir l’adresse du Centre européen du judaïsme, ferait honneur à notre capitale », concluait le président du consistoire.
Point d’histoire à vérifier : la présence, il y a « 2000 ans », sur un territoire qui deviendra la France, d’hommes et de femmes pratiquant la religion juive. Mais si Mr Mergui l’affirme, le contester risque aujourd’hui de conduire l’impudent devant un tribunal…
Toujours est-il que moins de trois mois plus tard, Joël Mergui était comblé devant une Anne Hidalgo au garde à vous ! Dans cette lettre datée du 15 mai 2019, après avoir rappelé que « la Ville de Paris ne saurait être ce qu’elle est sans la présence de la communauté juive qui y habite et s’y épanouit », elle s’affirme « très sensible à [cette] proposition de créer une place de Jérusalem au sein de la capitale, qui permettrait également de commémorer l’amitié qui unit la Ville de Paris à l’État d’Israël ». Elle enfonce le clou : « j’ai d’ores et déjà nommé madame Catherine Vieu-Charier, mon adjointe à la mémoire, en charge de ce projet. J’ai l’honneur de vous annoncer que très prochainement, lors d’une délibération du conseil municipal, le principe d’une place ou d’une esplanade de Jérusalem aux abords du lieu hautement symbolique du Centre européen du judaïsme sera acté ».
Dans cet édifiant échange de correspondance, à aucun moment il n’est fait mention des trois religions qui confèrent, donc, à Jérusalem son statut de « ville trois fois sainte ». Comme il n’est jamais question, ni de l’occupation militaire, ni de l’expulsion des Palestiniens de leur domicile de la partie Est de la ville (où vivait la majorité des habitants avant sa conquête par les forces israéliennes en juin 1967), ni de la construction des colonies illégales – dans et tout autour – de la ville au dôme en or !
L’ambassadeur Salman el Herfi – chef de la Mission de Palestine en France – a envoyé à Anne Hidalgo une lettre de trois pages, lui demandant notamment « d’annuler sa décision ». Extraits : « ce qui est déplorable ici, écrit l’ambassadeur palestinien, « n’est bien sûr pas l’hommage rendu à la communauté juive de Paris ou de France, mais l’éviction incompréhensible des deux autres religions, chrétienne et musulmane. Ces dernières ayant des liens historiques avec la ville de Jérusalem, auraient dû y être associées, d’autant plus quand vous vous prévalez de la lutte contre les discriminations pour fonder votre décision. Or vous ne pouvez l’ignorer, nous sommes les premiers discriminés par votre décision. »
« Comment », conclut Salman el Herfi, « ne pas y voir une décision politique lorsque le ‘maire israélien’ de Jérusalem occupée et illégalement annexée a été convié à l’inauguration de cette place et qu’aucune partie palestinienne n’a été ne serait-ce qu’informée de toute cette procédure ? Comment ne pas y voir une décision politique lorsque dans votre lettre au consistoire vous évoquez l’amitié entre la ville de Paris et l’État d’Israël pour annoncer la création d’une place de Jérusalem ? […] Vous semblez ici laisser penser que Jérusalem appartenait et appartient uniquement à la »communauté juive”, ajoutant une confusion entre cette dernière et l’État d’Israël que vous associez à cette même décision politique. Il ne s’agirait donc plus d’un simple hommage à la »communauté juive” mais bien d’une adhésion à la politique d’annexion de l’État d’Israël et d’une tacite reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. Ce qui fait l’objet de notre totale indignation ».
Même s’il reste diplomate et poli, l’ambassadeur de Palestine à Paris sait qu’Anne Hidalgo n’en est pas à son premier coup tordu en faveur des autorités de Tel-Aviv, toujours capitale d’Israël, selon le droit international ? Le 13 août 2015, la maire de Paris n’avait déjà rien trouvé de mieux que de monter une étrange opération baptisée : « Tel-Aviv sur Seine ». Ayant soulevé une certaine émotion, sinon réprobation sa décision avait alors déclenché une vive polémique. Quelques jours auparavant, Anne Hidalgo se justifiait dans les colonnes du Monde en décrivant Tel-Aviv comme une « ville progressiste » ouverte à tous les « happy fews » de la planète…
Fallait déjà le faire : prétendre que cette ville où siègent – toutes les agences d’urbanisme chargées de tronçonner la Cisjordanie et, prioritairement les villages palestiniens, ainsi que les sociétés qui ont détourné la totalité des nappes phréatiques de Palestine, sans parler des officines de barbouzes spécialisées dans les assassinats ciblés – est une « ville ouverte » et l’une des capitales de bobo-land, c’est vrai qu’il fallait oser… Tel-Aviv, une ville comme les autres, Israël, un Etat comme les autres ? Certainement pas Madame la maire !
Madame, en banalisant ainsi l’apartheid israélien, vous crachez à la face des victimes passées, actuelles et à venir du dernier état colonial du monde. Vous encouragez les droites et extrême-droites israéliennes à poursuivre leurs crimes. Vous encouragez aussi les nervis du Betar et de la Ligue de Défense Juive (organisations paramilitaires de l’extrême-droite pro-israélienne toujours pas interdites en France), qui attaquent régulièrement les rassemblements pacifiques de soutien à la population palestinienne. En banalisant ainsi une sorte de fascisme ordinaire, vous crachez aussi sur les valeurs les plus fondamentales d’une République que vous prétendez servir ! Lamentable, proprement lamentable !
Honte à vous, honte absolue à vous Madame Hidalgo ! La rédaction et les amis de prochetmoyen-orient.ch militeront activement – de tous leurs moyens – pour faire barrage à votre hypothétique réélection à la mairie de Paris. Depuis que vous exercez ces fonctions qui – à l’évidence – vous dépassent, les embouteillages et la pollution n’ont cessé d’augmenter de manière exponentielle, la ville (et tous ses arrondissements) sont abandonnés à une saleté extrême, vos folles trottinettes raflent quotidiennement des petites vieilles sur les trottoirs et les gens pissent dans les rues. Quel formidable bilan ! Ne manquait à votre bilan qu’une honte – je ne dis pas un déshonneur puisque vous ignorez tout de cette vertu – qui s’en vienne piétiner le droit international le plus sacré. C’est fait ! Allez au diable…
Par Richard Labévière
Source: Proche et Moyen-orient