Les cours de l’or noir s’effondrent, entraînant dans leur sillage les bourses mondiales, sur fond de crise du coronavirus. Au-delà d’une nouvelle guerre des prix entre l’Arabie saoudite et la Russie qui s’annonce, le rôle des entreprises américaines, qui ont fait des États-Unis le premier producteur mondial de pétrole, n’est pas anodin.
Il flottait ce lundi 9 mars au matin comme un parfum d’automne 2007. Dans le sillage des bourses asiatiques, le CAC40 dévissait de près de 6,5% à l’ouverture, continuant son repli à la mi-journée pour clôturer à – 8,39%. Une chute attendue après les 4,14% perdus par la place financière parisienne lors de la précédente séance de vendredi. Un «lundi noir», tout particulièrement pour le secteur de l’énergie, pour qui la séance est d’ores et déjà jugée «apocalyptique», plombé par une chute historique des cours de l’or noir. La pire depuis la première guerre du Golfe.
«Si on prend le Brent de la mer du Nord, on a une baisse des prix qui est un peu inférieure à 50%, ce qui est absolument considérable sur une période de temps aussi courte!», réagit au micro de Sputnik Francis Perrin, Chercheur associé au Policy Center for the New South et directeur de recherche à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).
Pour l’heure à 36 dollars, Goldman Sachs verrait même le baril de Brent de la mer du Nord tomber à 20 dollars. Schéma similaire pour le brut léger américain (WTI) qui, après avoir chuté de 30% la veille, abandonnait encore plus de 20%, passant même temporairement sous la barre des 30 dollars. Au niveau des valeurs boursières, Total et TechnipFMC accusent le coup, décrochant respectivement vers midi de 12,5% et 18,8%. L’entreprise CGG (ex-CGGVeritas), explorant le sous-sol, s’effondrait de 37,7%.
Le pire krach pétrolier depuis la première guerre du Golfe
Principale cause de cet effondrement soudain, le désaccord russo-saoudien autour d’une nouvelle baisse de la production pétrolière. Vendredi 6 mars, à Vienne, dans le cadre des négociations de l’OPEP+ (réunissant autour de l’Arabie saoudite les treize États exportateurs de l’OPEP et dix pays producteurs alliés non OPEP, menés par Moscou), le ministre russe de l’Énergie, Alexander Novak, a balayé la proposition de Riyad d’abaisser le niveau de production de 1,5 million de barils par jour jusqu’à fin 2020. Une baisse de la production pétrolière envisagée sur fond de baisse de la demande, provoquée par la crise du coronavirus (Covid-19).
Réaction de Riyad: des coupes drastiques de ses prix à l’export de ses pétroles, à compter du 1er avril. Une baisse qui a provoqué un mouvement de panique sur les places financières, qui s’est ajoutée aux craintes provoquées par les mesures prises ce week-end par les autorités italiennes afin de tenter d’endiguer la progression du Covid-19 à travers un pays à présent considéré comme le plus touché après la Chine par l’épidémie. Chine où la consommation pétrolière est en berne.
«Par ailleurs, il se murmure que l’Arabie saoudite s’apprêterait à augmenter de façon significative sa production de pétrole très prochainement», ajoute le directeur de recherche de l’IRIS.
Ce dernier évoque ainsi un scénario «assez proche» de la guerre des prix ayant opposé l’Arabie saoudite à la Russie –et leurs alliés respectifs–, faisant chuter de 75% des prix des hydrocarbures entre l’été 2014 et janvier 2016. Le Brent avait alors chuté à 27 dollars le baril, épisode suite auquel Riyad et Moscou avaient impulsé une coopération entre les pays de l’OPEP et les non-OPEP.
Le début d’une guerre des prix russo-saoudienne
Trois raisons principales, aux yeux de Francis Perrin, à ce rejet russe «en dépit de leur volonté de continuer à prolonger dans le temps» la coopération entre pays de l’OPEP et les pays non-OPEP. Tout d’abord, le fait que «la partie russe estime que l’OPEP et les pays non-OPEP ont déjà réduit leur production dans les derniers mois» sans obtenir les résultats escomptés. Ensuite, le fait que cette nouvelle baisse n’était pas perçue d’un bon œil par les entreprises : «ces compagnies ont évidemment fait connaître leur point de vue aux autorités russes au plus haut niveau», explique-t-il.
Troisième raison et non des moindres, la place prépondérante que prennent aujourd’hui les États-Unis dans l’offre mondiale de pétrole. En effet, avec l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels (pétrole de schiste), les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole devant la Russie et l’Arabie saoudite. Or, les États-Unis ne font pas partie de l’OPEP ni des pays qui négocient avec l’OPEP depuis la fin 2016.
«Les dirigeants politiques et du secteur pétrolier de la Russie disent en substance: “pourquoi faudrait-il que l’OPEP et la Russie et d’autres pays non-OPEP continuent à réduire leur production alors que les États-Unis augmentent leur production de façon inexorable et nous prennent des parts de marché?”»
Pour Francis Perrin, si les États-Unis font «toujours bande à part», c’est en raison de la nature de leurs acteurs pétroliers, inhérente à celle de leur tissu économique: des compagnies privées. Une situation difficilement comparable à celle de l’Arabie saoudite et sa compagnie nationale Saudi AramCo, dont le niveau de production est déterminé par les dirigeants du pays ou encore au «cas intermédiaire» qu’est la Russie. En effet, si la Fédération russe compte des géants pétroliers et gaziers dont le capital est majoritairement contrôlé par l’État (Rosneft et Gazprom), elle abrite également des acteurs privés tels que Lukoil, premier producteur de pétrole du pays. La Russie garde tout de même un levier sur son niveau de production national dans le cadre d’une alliance.
Exportations pétrolières : les États-Unis en embuscade
«Aucun Président américain, à supposer qu’il en ait l’idée et l’intention, ne peut dire à Exxon Mobil, Chevron, ConocoPhillips, etc. de produire plus ou de produire moins, c’est laissé à l’initiative privée», rappelle Francis Perrin.
Si certains observateurs en France y voient une volonté de la Russie de frapper au portefeuille ces mêmes producteurs américains, évoquant notamment le cas des sanctions prises par Washington à l’encontre du projet de gazoduc Nord Stream 2 devant relier les côtes russes à l’Allemagne via la mer Baltique, pour Francis Perrin, c’est avant tout une guerre des prix russo-saoudienne qui a été entérinée.
«Le coût de production du pétrole était devenu supérieur au prix du marché, les compagnies pétrolières qui ne sont pas des ONG humanitaires ferment les puits ce qui avait entraîné une légère baisse de la production pétrolière américaine», concède Francis Perrin.
Il rappelle que depuis 2008 et à l’exception de l’année 2016, la production américaine a toujours été à la hausse ce qui –sous réserve de l’impact de cette nouvelle crise– devrait encore être le cas en 2020. Les prévisions de la production américaine pour cette année s’établissent à 13,2 millions de barils par jour, soit près de 2 millions de plus qu’au début de l’année précédente où les États-Unis ont, pour la première fois depuis 1940, exporté plus de pétrole qu’ils n’en ont importé.
Source: Sputnik