Les États-Unis ont à nouveau bombardé la Syrie et l’Irak, apparemment pour la simple raison qu’ils le peuvent, sans se soucier des conséquences.
Le moment et la nature des frappes aériennes américaines contre les forces populaires irakiennes opérant à l’intérieur de la Syrie et de l’Irak soulèvent la question de savoir ce que les États-Unis espéraient accomplir, pour autant que ces frappes aient un objectif.
Parfois, on doit se demander si les responsables du Pentagone qui planifient des frappes militaires ont une connaissance de la situation & des réalités géopolitiques dans les régions qu’ils attaquent, ou si leurs actions sont guidées par un orgueil empreint d’ignorance qui les prémunit de tout lien avec le monde réel.
Cette déconnexion avec la réalité était pleinement visible le 27 juin 2021, lorsque des avions militaires américains ont lancé des frappes contre trois cibles affiliées aux Forces de Mobilisation populaire irakiennes (PMF, ou Hachd al-Chaabi), un ensemble de forces populaires majoritairement chiites [précision sectaire inutile : c’est logique dans un pays où les chiites forment 60 à 70% de la population ; les sunnites et même les chrétiens y sont également présents] formées en 2014, avec le soutien de l’Iran, pour combattre Daech.
Parmi les sites ciblés, il y aurait un entrepôt de stockage d’armes et un autre, selon les États-Unis, qui aurait été utilisé par les PMF pour lancer et récupérer des drones [allégations démenties par les principaux concernés]. Les sites, situés à proximité de la ville syrienne d’AlbouKamal et de la ville frontalière irakienne d’Al-Qa’im, ont été présentés par les États-Unis comme affiliés aux brigades Kata’ib Hezbollah et Kata’ib Sayyid al-Shuhada, factions des PMF. Des lieux prétendument affiliés à ces deux organisations, toujours dans la région d’AlbouKamal/Al-Qaim, ont déjà été frappés par les États-Unis le 25 février 2021.
Les États-Unis ont justifié leurs actions comme de la légitime défense face à une vague d’attaques de drones contre leurs forces et leurs installations en Irak, apparemment réalisées par les forces populaires ciblées. En avril, un drone a endommagé un hangar top secret de la CIA à Erbil. Un mois plus tard, le 8 mai, un drone a attaqué la base aérienne d’Ain al-Asad, mais n’a causé aucun dommage. Le 6 juin, la même base a été attaquée par deux drones, qui ont été abattus avant d’atteindre leur cible. Puis, le 9 juin, trois drones ont attaqué une base aérienne américaine à Bagdad. L’un d’eux a été abattu, mais deux ont réussi à atteindre leurs cibles.
Le profil d’attaque des drones est tel qu’ils échappent à la détection jusqu’au moment de l’attaque, ce qui signifie que les États-Unis ne savent pas avec certitude d’où viennent les attaques. De plus, comme les drones en question peuvent être lancés à partir de véhicules spécialement équipés, l’identification du site fixe d’une attaque militaire est impossible. Alors qu’aucune organisation n’a revendiqué la responsabilité des attaques, les drones utilisés étaient d’origine iranienne. Cette affiliation, combinée au fait que le PMF a été observé par les Américains opérant des drones depuis un site près d’Abou Kamal, semble fournir la justification sous-jacente des frappes du 27 juin.
Ce que les États-Unis espèrent accomplir à travers ces frappes n’est pas clair. D’un point de vue purement militaire, les frappes en question n’ont en rien empêché la poursuite des attaques de drones contre les forces américaines en Irak. Les drones en question sont bon marché, mobiles et intrinsèquement difficiles à cibler. Bien que certains aient pu être détruits lors de l’attaque du 27 juin, il ne fait aucun doute que l’Iran est disposé à remplacer tous les drones détruits par de nouveaux.
De même, l’attaque était presque inutile si sa justification était la dissuasion basée sur la punition. Le moment de l’attaque – 01h00 heure locale – semble avoir été choisi pour réduire le risque de pertes, bien que plusieurs combattants des PMF, et peut-être des civils, ont été tués. De même, l’infrastructure détruite peut être facilement reconstruite. Si le but était d’intimider le PMF, la mission a échoué. Le PMF a promis de venger ses combattants tués lors des frappes aériennes et a déclaré que ses attaques contre les forces américaines en Irak se poursuivraient sans relâche.
L’aspect le plus déroutant de cette frappe aérienne, cependant, est son timing, survenant seulement un jour après que le premier ministre irakien Mustafa al-Kadhimi (al-Kazhimi) a assisté à une célébration du septième anniversaire de la création des PMF, qui s’est tenue au camp d’Achraf, l’ancien siège du groupe terroriste anti-iranien Mujahedeen-e-Khalq, situé à environ 100 kilomètres au nord-est de Bagdad. Le PMF a fait défiler des milliers de ses combattants, ainsi que des chars, des lance-roquettes et des drones, devant un stand qui, en plus de Kadhimi, comprenait le ministre de la Défense Juma Inad, le ministre de l’Intérieur Othman Ghanmi, le chef d’État-Major de l’armée irakienne, le lieutenant général Abdul Amir Yarallah et le chef d’État-Major du PMF Abdul Aziz al-Mohammadawi.
Plus important que la liste des participants, cependant, est ce que Kadhimi a dit à propos du PMF. Dans un tweet publié pendant le défilé, le premier ministre a noté que « [Nous] avons assisté au défilé de notre armée héroïque le 6 décembre (2020), ainsi qu’au courageux défilé de la police, et aujourd’hui nous avons assisté au défilé de nos fils des Forces de mobilisation populaire. Nous affirmons que nous agissons sous la bannière de l’Irak et que la protection de sa terre et de son peuple est notre devoir. Oui à l’Irak ! Oui à l’Irak, le pays fort et capable ! » Kadhimi a ensuite souligné le fait que le PMF était rattaché à l’État irakien et a salué son rôle dans la lutte en cours contre Daech.
Pour réitérer le propos, un jour après que le premier ministre irakien, en compagnie de son équipe militaire et de sécurité nationale, ait déclaré que le PMF était un élément essentiel de la sécurité de l’État de son pays, les États-Unis ont bombardé ces mêmes forces en Syrie et en Irak, sur les sites même d’où les PMF mènent les opérations anti-Daech vantées par le premier ministre irakien – et ce sans en informer préalablement le gouvernement irakien, ni demander son autorisation.
En réponse, Kadhimi a convoqué une réunion d’urgence de son personnel de sécurité nationale et a condamné les frappes américaines comme une violation flagrante de la souveraineté irakienne, qui inciterait son gouvernement à étudier toutes les options juridiques en réponse.
Cela nous ramène à la question initiale : à quoi le Pentagone pensait-il lors de la planification de ces frappes ? D’un point de vue militaire, ils ont accompli pire que rien. En attaquant des ressources qui peuvent être facilement remplacées, tout ce que les États-Unis ont fait a été de fournir un motif et une justification supplémentaires aux frappes de représailles contre des cibles américaines en Irak, perpétuant le cycle de violence que les attaques étaient censées arrêter. Cela semblait être le cas aujourd’hui après que les forces populaires irakiennes ont lancé une attaque contre le champ pétrolifère d’Al-Omar, que les États-Unis utilisent comme base [et où ils pillent les ressources de la Syrie]. D’un point de vue politique, ils se sont aliénés les mêmes responsables gouvernementaux irakiens dont ils avaient besoin du soutien continu pour justifier leur présence en Irak – et, par extension, en Syrie.
Mais c’est le manque absolu de conscience géopolitique qui rend l’action américaine si incompréhensible. Il semble que les États-Unis bombardent simplement parce qu’ils le peuvent – et au diable les conséquences [plus vraisemblablement, les États-Unis continuent à soutenir délibérément Daech, pour perpétuer le prétexte de leur occupation et le pillage des ressources syriennes]. Nous agissons comme une bande d’adolescents pétulants qui, ayant traîné un nid de frelons dans une pièce fermée, pleurent quand, après avoir donné des coups de pied dedans, les frelons émergent pour nous piquer.
Par Scott Ritter: ancien officier du renseignement du corps des Marines américains. Il a servi en Union soviétique comme inspecteur de la mise en œuvre du traité INF, auprès du Général Schwarzkopf pendant la guerre du Golfe et de 1991 à 1998 en tant qu’inspecteur des armes de l’ONU.
Sources : RT; traduction Les cris du peuple