Le ministre algérien des Affaires étrangères s’est chargé de répondre à l’appel à l’apaisement lancé par le Président français dans la crise politique qui oppose les deux pays.
Ramtane Lamamra, qui a choisi de s’exprimer depuis le Mali, où la France est mise en difficulté, a dénoncé « une faillite mémorielle intergénérationnelle ».
« La faillite mémorielle que trahissent les propos concernant l’Algérie et le Mali, qui ont été tenus récemment, est malheureusement intergénérationnelle chez un certain nombre d’acteurs de la vie politique française, parfois aux niveaux les plus élevés ».
La phrase est de Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères, qui était mardi 5 octobre 2021 en compagnie du Premier ministre malien Choguel Kokalla Maiga.
Elle sonne comme une réponse au Président Emmanuel Macron, qui, quelques heures plus tôt, avait tenté d’apaiser les tensions avec Alger.
Zizanie
Dans cette déclaration accordée à la télévision publique malienne, le chef de la diplomatie algérienne s’en est pris frontalement au Président français sur le terrain de la mémoire coloniale.
« Nos partenaires étrangers ont besoin de décoloniser leur propre histoire, ils ont besoin de se libérer de certaines habitudes, de certains comportements, de certaines visions qui sont intrinsèquement liés à la logique incohérente portée par la prétendue civilisation de l’Occident qui a été la couverture idéologique pour essayer de faire passer le crime contre l’humanité », a-t-il souligné.
« L’Afrique, qui est le berceau de l’humanité, est également le tombeau du colonialisme et du racisme », a ajouté Ramtane Lamamra.
Interrogé par Sputnik, Hakim Boughrara, professeur en sciences de l’information et analyste politique, estime que le chef de l’État français a commis une grave faute lors de l’interview accordée à Léa Salamé.
« Le Président Macron a prôné l’apaisement avec Alger lors de son entretien avec la chroniqueuse de France Inter. Mais comme lors du déjeuner à l’Élysée avec les étudiants, il a une nouvelle fois mis en avant les relations cordiales qu’il entretient avec le Président Abdelmadjid Tebboune. C’est une façon de dire que son homologue algérien est une victime du « système politicomilitaire », comme il l’a lui-même désigné quelques jours auparavant. Cette démarche, qui est perçue comme une volonté de semer la zizanie, est totalement rejetée par Alger », explique Hakim Boughrara.
Le choix d’une réponse de l’Algérie depuis Bamako est loin d’être fortuit. Ramtane Lamamra, qui était à Addis-Abeba à l’occasion de la cérémonie d’installation du nouveau gouvernement éthiopien, a fait une courte escale dans la capitale malienne pour s’entretenir avec les responsables de l’instance de transition de ce pays.
Une démarche assimilée à un acte de soutien au Mali qui fait lui aussi face à une crise politique avec la France suite à des propos du Président Emmanuel Macron jugés « inamicaux et désobligeants » par les autorités maliennes.
« J’ai été choqué. Ces propos sont inacceptables […] Alors qu’hier nous avons présidé à l’hommage national au sergent Maxime Blasco [tué au combat au Mali], c’est inadmissible.
C’est une honte et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement », avait déclaré Emmanuel Macron jeudi 30 septembre en réaction au discours prononcé par le ministre malien des Affaires étrangères à l’Onu.
Ce dernier avait estimé que la France abandonnait le Mali sur le plan sécuritaire. Le ministère malien n’a pas hésité à convoquer l’ambassadeur de France à Bamako en signe de protestation.
Pour Hakim Boughrara, la réaction sévère du gouvernement malien prouve que Paris a perdu « de son influence » dans ce pays du Sahel.
« Il n’est pas dans la tradition des officiels maliens de critiquer la France aussi ouvertement et encore moins de convoquer son représentant. Il est vrai que les choses ont commencé à changer depuis un certain temps. Mais si Bamako réagit de la sorte, c’est qu’il y a désormais la garantie d’une puissance importante à ses côtés. Cette puissance est évidemment la Russie, dont l’influence devient agissante au Mali. D’ailleurs, les événements auxquels nous assistons actuellement sont le signe d’une alliance algéro-russe dans la région. Et cette alliance se construit au détriment des intérêts français au Sahel », note-t-il.
Jeudi 30 septembre, la livraison par la Russie de quatre hélicoptères MI171 à l’armée malienne a été perçue par des observateurs comme une entrée en force de Moscou dans sa zone d’influence sahélienne.
Sadio Camara, ministre de la Défense et homme fort du Mali, avait pourtant précisé que ces appareils avaient été commandés depuis décembre 2020.
Hakim Boughrara est persuadé que le choix d’une coopération stratégique avec Moscou va s’étendre à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.
« Les Russes sont plus intéressés par une présence stratégique dans le continent que par les richesses naturelles des États. La Russie a du pétrole et du gaz dans son sous-sol, elle n’éprouve pas le besoin d’aller en chercher ailleurs. C’est un argument que les dirigeants africains pourraient prendre en considération à l’avenir ».
Source: Avec Sputnik