La Russie ne pourra pas se dissocier de l’unilatéralisme mondial des États-Unis tant qu’elle utilisera la monnaie américaine comme moyen financier pour ses transactions commerciales.
Cette dépendance à l’égard du dollar américain met naturellement Moscou à la merci des États-Unis d’Amérique et de leurs sanctions. Il en va de même pour l’euro, directement lié à la politique de l’Europe, qui est devenue l’otage des États-Unis, comme le montrent les mesures prises pendant la guerre en Ukraine.
La plupart des décisions du président Joe Biden ont été suivies par l’Europe malgré ses pertes économiques importantes et les gains américains. En témoigne le gel par l’Occident d’environ 300 milliards de dollars de devises fortes et d’or russes déposés dans les banques occidentales.
C’est pourquoi la Russie a commencé, il y a plusieurs années, à adopter la monnaie locale comme moyen de paiement pour une partie de son énergie et de son commerce avec la Chine, l’Iran, l’Inde et le Pakistan. Toutefois, le président Vladimir Poutine a averti les 48 pays classés comme “non-amis” que la facture quotidienne de gaz russe, estimée à des centaines de millions d’euros, de dollars et de livres sterling, devra être payée en roubles russes à partir du jeudi 31 mars.
L’ultimatum lancé par le président russe est soit de payer le prix du pétrole, du gaz et du charbon russes en roubles, soit s’en passer si l’Europe ne respecte pas les conditions de la Russie.
Cela conduira inévitablement à une crise mondiale ou à une hausse significative de la devise russe, compensant ainsi l’effet des sanctions occidentales contre Moscou. La décision russe a provoqué une tempête de déclarations par les dirigeants européens, qui seront confrontés à un dilemme sans autre issue que de se plier à l’exigence ou de subir les conséquences d’une forte pénurie de gaz et de pétrole.
Le président Poutine a précisé que ce n’est que le début des mesures russes. Il a déclaré que les modalités des contrats ne seront pas changées pour permettre d’autres monnaies que le rouble. Cela signifie que les prix resteront inchangés et que les sociétés acheteuses paieront le gaz russe au prix initial en dollars, mais en roubles.
Le vice-premier ministre Alexandre Novak a également déclaré qu’il était devenu inacceptable d’échanger du pétrole contre le dollar et l’euro, et qu’à l’avenir, il faudrait régler les achats de tous les autres produits dans les monnaies nationales.
Des difficultés pourraient survenir lorsque les institutions européennes commenceront à chercher des sociétés boursières auprès desquelles elles pourront acheter des roubles, car l’Europe devra s’assurer que ces sociétés ne font pas l’objet de sanctions. L’Europe ne pourrait pas acheter des roubles à la Banque centrale russe qui fait déjà l’objet de sanctions et dont la moitié des réserves d’or et de devises sont gelées.
Les réactions n’ont pas tardé sur le continent européen, où l’on a d’abord rejeté le “chantage” imposé par le président Poutine et demandé que la facture de gaz ne soit pas payée en roubles. La première réaction est venue du président français Emmanuel Macron, qui a déclaré que l’Europe ne peut pas traiter avec le rouble et que les contrats avec la Russie ne prévoient pas cette condition, en considérant qu’il s’agit d’une violation de l’accord d’approvisionnement en gaz. Ont suivi plusieurs déclarations des dirigeants des pays d’Europe de l’Est, qui ont refusé catégoriquement d’utiliser la monnaie russe, mais sans proposer de solutions de rechange pour répondre à leurs besoins.
Les pays occidentaux ne peuvent pas s’attendre à ce que la Russie reste les bras croisés en réponse à leurs défis lancés à Moscou sur de nombreux fronts. L’Europe a envoyé des armes pour tuer les soldats russes sur le champ de bataille ukrainien. L’UE a gelé les actifs financiers de la Russie dans ses banques et s’est jointe aux États-Unis pour imposer les sanctions économiques et financières les plus sévères. Le président Poutine ne reculera pas et ne montrera aucun signe de faiblesse, par crainte de perdre sa crédibilité et sa cohérence dans cette guerre. Le président russe s’organise donc pour que les sanctions soient aussi douloureuses pour l’Occident que pour la Russie. Le président Poutine n’est pas près d’abandonner et défendra l’économie de son pays à long terme en faisant souffrir les pays que Moscou ne considère plus comme des pays amis.
Le président Joe Biden a déclaré qu’il « sait que les sanctions contre la Russie ne dissuaderont pas la guerre, car elles ne dissuadent jamais. L’objectif des sanctions est plutôt d’accroître la douleur des Russes ».
En effet, les dirigeants russes souffriront de ces sanctions, car Moscou n’a pas anticipé les innombrables mesures prises par l’Occident depuis le début de la guerre. Sauf que le reste du monde partagera aussi une partie de la douleur.
Il est vrai que l’Europe ne peut se procurer facilement des roubles (qui devrait devenir une monnaie internationale) sur le marché, ni modifier les anciens accords avec la Russie. C’est le signe d’une véritable crise qui frappera durement le continent européen, à moins qu’il ne choisisse de débloquer les fonds russes gelés comme moyen de négociation que les USA rejetteront sans aucun doute, car cela pourrait être interprété comme une position faible ou complaisante face au président Poutine.
Ainsi, une importante crise énergétique se profile à l’horizon, y compris pour l’économie russe, qui sera privée des milliards de devises fortes (dollars et euros) qu’elle reçoit mensuellement de l’Europe. Le vieux continent ne peut pas attendre de la Russie qu’elle le prenne en pitié ou tienne compte de ses besoins en pétrole et en gaz, car les pays qui composent ce continent contribuent à prolonger la guerre que Moscou a décidé de mener, même s’ils agissent sous les ordres des USA.
L’Europe a décidé aussi de diversifier ses sources de pétrole et de gaz et de se rabattre sur les États-Unis et d’autres pays producteurs de gaz pour acheter le gaz liquéfié (GNL) plus cher. L’Europe a accédé à la demande des USA de préparer des approvisionnements et des navires-citernes pour le gaz liquide. Les pays de l’Union européenne, qui importent du gaz naturel livré par gazoducs à des prix bien inférieurs à ceux qu’ils achèteront aux États-Unis et à d’autres pays, sont en position précaire. Le président Biden s’est engagé à fournir à l’Europe 15 milliards de mètres cubes de ce gaz liquide coûteux pour remplacer 10 des 40 % de gaz que l’Europe importe de Russie.
« Nous nous réunissons pour réduire la dépendance de l’Europe à l’égard de l’énergie russe, a déclaré le président Biden lors d’une conférence de presse conjointe avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, pour punir la Russie et son économie ».
C’est le prix que la Russie paie et paiera à long terme pour avoir défié l’unilatéralisme mondial des États-Unis sur la scène ukrainienne.
Mme Von der Leyen a évoqué l’engagement des États-Unis à fournir du gaz de substitution. Toutefois, le texte final de la déclaration conjointe américano-européenne indique que les États-Unis « travailleront avec des partenaires internationaux » et « s’efforceront de faire en sorte » que ces livraisons trouvent leur chemin vers l’Union européenne cette année.
Ainsi, la promesse de 15 milliards de mètres cubes cette année est un engagement pour tenter de persuader les entreprises d’Asie ou d’ailleurs, qui attendent des cargaisons l’hiver prochain, d’accepter de les réacheminer vers l’Europe à la place. Cela signifie que les promesses des États-Unis ne sont pas contraignantes, mais plutôt l’expression d’une intention d’aider. La possibilité que les pays asiatiques refusent de réduire leurs besoins énergétiques ne peut être ignorée.
Par Eiljah J.Magnier