Depuis quatre ans que la compagnie pétrolière Total a remporté le contrat de prospection d’hydrocarbures du Liban, dans le cadre d’un consortium avec l’italien ENI et le russe Novatek, elle n’a jusqu’à présent effectué aucune opération de forage dans le bloc n°9, le plus prometteur, déplore al-Manar.
Elle devait mener son premier forage exploratoire en 2021, « dans la partie nord du bloc n°9, située à 25 km des frontières maritimes » avec la Palestine occupée, selon l’expert libanais dans les lois et les politiques énergétiques Ali Berro.
Après que le consortium, chargé d’un autre bloc, le n° 4, a argué ne pas y avoir trouvé de preuves concluantes de quantités commercialisables, les Libanais parient sur le 9.
Or ce dernier se trouve dans une zone où les frontières maritimes avec la Palestine occupée n’ont pas été délimitées avec les Israéliens qui n’ont de cesse de dresser des obstacles aux Libanais.
« Depuis la réouverture, en octobre 2020, des pourparlers après dix ans d’impasse, Israël n’a cessé de faire semblant de négocier dans le seul but de gagner du temps », estime Michel Ghazal, l’expert international en négociation, médiateur et consultant auprès de la délégation libanaise aux négociations de Nakoura, pour le quotidien libanais L’Orient-le-Jour.
Beyrouth qui s’est appuyé sur la méthode de l’équidistance reconnue par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS), a notifié à l’ONU en 2010 son tracé qu’il considère comme légitime.
Alors que de son côté, ‘Israël’, qui n’est pas signataire de cette convention onusienne, a proposé une autre délimitation, arbitraire, se fondant sur un accord frontalier qu’il a signé avec Chypre en 2010 et sur un accord entre le Liban et Chypre de 2007, qui n’a jamais été ratifié par le parlement libanais.
Il en a découlé un litige portant sur 860 km2. Une négociation a été déclenchée alors avec la médiation de l’américain Frederic Hof conduisant ce dernier à un partage 55 %/45 % en faveur du Liban. La proposition a été refusée d’autant plus que l’organisme britannique mandaté par Beyrouth pour délimiter sa frontière maritime (UKHO) avait établi que le Liban pouvait revendiquer une ligne nettement plus avantageuse que la ligne 23.
En mai 2021, dès la reprise des négociations sur le tracé des frontières, l’équipe libanaise a présenté la ligne 29 (objet du projet d’amendement) qui accorde 1430 km2 en plus des 860 km2.
« Une revendication légitime, fondée aussi bien sur les études effectuées par l’UKHO que sur celles l’armée libanaise », affirme M. Ghazal. Mais elle n’a pas été officialisée par l’Onu.
Dans un premier moment, le groupe français était encouragé, se réjouissant que le contentieux sur le bloc 9 concernait moins de 8 % de la surface de ce bloc.
Par la suite, il a commencé à se rétracter. Comme pour le bloc 4, il a argué que les traces de gaz découvertes dans bloc n°9, ne sont pas suffisantes pour démarrer une exploitation. Sans toutefois renoncer au projet !
Récemment , il a demandé au gouvernement libanais un nouveau délai pour entamer ses travaux de forage. Il lui a été accordé par un décret promulgué par le gouvernement libanais le 5 mai 2022 pour trois mois.
Interrogée par al-Manar, la compagnie française attribue maintenant son retard dans les travaux d’exploration aux reports du cabinet ministériel libanais du deuxième round d’attribution portant sur l’ensemble des autres blocs. Il est prévu pour le 15 de ce mois-ci.
Mais ses sources ont finalement admis faire l’objet de pressions internationales et internes sur fond de la question de démarcation des frontières, ce qui freine le lancement des travaux.
A la question de savoir les raisons pour lesquelles le Liban ne s’adresse pas à une autre compagnie pétrolière pour lui confier cette exploration, des sources du ministère libanais de l’Energie ont indiqué que très peu de compagnies internationales ont la capacité de mener des travaux d’exploration en grande profondeur, comme c’est le cas avec le large libanais.
La compagnie Total fait partie de ce cercle restreint et semble particulièrement consciente de ce privilège.
Or, elle est suspectée d’exercer un certain chantage au Liban, de concert avec les Américains et les Israéliens qui misent sur la crise économique que traverse le pays du cèdre pour désarmer la résistance et l’entrainer vers la normalisation avec l’entité sioniste. Non sans collaboration avec des agents internes.
L’exploitation des ressources de gaz permettrait de redresser les finances publiques en cessant d’accroitre le poids considérable de la dette.
Dans l’un de ses derniers discours, le chef du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles l’exploitation des ressources pétrolières et gazières libanaises traînaient autant, qualifiant « le trésor enfoui du Liban, de planche de salut » et assurant que le parti suivra cette affaire de près. Il a mis en garde l’entité sioniste de déclencher les travaux de forage du gisement Karish, situé sur la ligne 29 et dont elle a confié l’exploration à la société grecque Energean. Celle-ci a indiqué le 18 mai dernier au journal Les Échos avoir « reçu l’assurance que ce gisement se trouvait dans la (Zone économique exclusive) d’Israël. »
Selon un expert pétrolier française, cité par Radio France, « les Israéliens affirment avoir trouvé du gaz sur le bloc de Karish nord, sans pour autant indiquer sa nature et la quantité. »
« Beyrouth craint que les Israéliens ne siphonnent les ressources libanaises, parce qu’eux exploitent déjà les gisements de Karish et Karish nord », constate Mona Sukkarieh, consultante en risques politiques et cofondatrice de Middle East Strategic Perspectives (MESP).
Compte tenu des précédents de la compagnie française, il semble exclu qu’elle puisse contrecarrer les diktats américain ou israélien. Elle risque le pire, tout du moins des sanctions interminables.
Dans ce cas, le Liban n’aura de choix que de recourir à des acteurs plus détachés de l’influence des Etats-Unis, et pourquoi pas à leurs rivaux : en l’occurrence la Russie ou la Chine. Compte tenu de la détérioration économique et financière actuel, beaucoup de Libanais seraient partants.
Source: Divers