Au fil de son ascension politique, Giorgia Meloni a brisé plusieurs plafonds de verre, devenant finalement dimanche la première femme à diriger un gouvernement dans l’histoire d’une Italie encore marquée par le patriarcat.
Mais nombre d’Italiennes sont loin de considérer comme une alliée cette Romaine de 45 ans, dont la devise est « Dieu, famille, patrie » et qui défend les valeurs traditionnelles tout en s’opposant à l’avortement.
« En fin de compte, c’est une chose positive que, pour la première fois, ce soit une femme » aux fonctions de chef du gouvernement, estime auprès de l’AFP Giorgia Serughetti, qui enseigne la philosophie politique à l’université Milano-Bicocca. « Mais de là à dire que c’est un pas en avant pour les femmes, c’est une autre chose ».
Son parti post-fasciste Fratelli d’Italia est arrivé en tête aux législatives du 25 septembre avec 26% des voix, une victoire dans laquelle sa personnalité et ses talents d’oratrice ont joué un rôle crucial.
En 2019, elle s’était présentée ainsi à un meeting politique : « Je m’appelle Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne ».
Giorgia Serughetti interprète ces propos non comme une défense des droits des femmes mais plutôt comme « une déclaration de guerre contre ses ennemis » : les militants des droits LGBT+, les féministes ou encore les défenseurs des migrants.
Mme Meloni, qui elle-même n’est pas mariée et a eu une fille avec son compagnon, n’a « jamais joué la carte féminine » dans un pays en majorité catholique « largement hostile au féminisme ».
Mardi, dans son discours de politique générale devant les députés, elle a cependant rendu hommage à l’action de toutes les Italiennes lui ayant permis de « grimper et briser le lourd plafond de verre placé sur nos têtes ».
« Parmi tous les poids que je sens peser sur mes épaules aujourd’hui, il y a aussi celui d’être la première femme à la tête d’un gouvernement dans ce pays », a-t-elle ajouté.
En dépit de son accession au pouvoir suprême, Giorgia Meloni n’est pas vue comme une remise en cause du « modèle patriarcal », souligne Flaminia Sacca, professeure de sociologie politique à l’université romaine de La Sapienza.
Giorgia Meloni, une mère qui travaille, est une exception dans un pays où seule une femme en âge de travailler sur deux a effectivement un emploi. Et elle « ne remet absolument pas en cause les valeurs traditionnelles et la culture catholique », pour lesquelles elle ne constitue « pas une menace ».
Et pourtant, elle a franchi bien des obstacles dans sa carrière : en 2008, elle devient à 31 ans la plus jeune personne à avoir été nommée ministre en Italie, dans le gouvernement de Silvio Berlusconi. Elle est aussi la première femme à la tête d’un grand parti dans un pays où peu de femmes sont arrivées à des postes politiques importants. Jusqu’ici, les femmes n’étaient parvenues à conquérir que la présidence des chambres du parlement.
Dans son autobiographie publiée en 2021, Mme Meloni avait argué que la présence accrue de femmes à des postes de pouvoir permettrait de « relever le niveau moral et l’efficacité de notre classe dirigeante ». Fermement opposée à toute politique de quotas, elle affirme dans son livre n’avoir « jamais vraiment subi de discriminations au cours de sa carrière politique ».
Sur ses 24 ministres, seuls six sont des femmes, tandis que sa coalition a moins de femmes parlementaires que n’importe quel autre groupe.
« Giorgia Meloni est pour le féminisme comme un poisson sur une bicyclette : (…) pas à sa place », a noté avec ironie la philosophe Rosi Braidotti dans le journal La Repubblica en août.
Le discours de Mme Meloni sur les femmes se concentre essentiellement sur leur rôle de mères : favoriser la natalité et les familles, crèches gratuites, baisse des taxes sur les produits pour bébés…
« Elle ne parle pas d’émancipation ou de carrières, elle parle de mères et de leur droit à garder leur emploi », note Flamina Sacca.
De petites manifestations organisées par des jeunes se sont déroulées en Italie, principalement pour dénoncer les positions contre l’avortement de Mme Meloni, également opposée aux adoptions par les couples de même sexe et aux mères porteuses.
Elle a cependant promis de ne pas toucher à la loi de 1978 autorisant l’IVG. Emma Bonino, une militante des droits des femmes qui dirige le petit parti centriste +Europe, craint pourtant que la nouvelle Première ministre ne « fasse pression pour que la loi soit ignorée », rendant encore plus difficile l’avortement, nombre de gynécologues recourant déjà à l’objection de conscience pour refuser de les pratiquer.
Source: AFP