« Je ne dors plus », soupire Latifa Abou Hamid en regardant les photos de ses enfants, accrochées sur les murs de son salon : deux femmes et dix hommes. Tous sont passés par les prisons israéliennes.
Quatre y croupissent toujours et un cinquième est mort en détention il y a quatorze mois. Son corps est toujours aux mains des Israéliens, dit-elle. Tous ont été accusés d’avoir mené des attaques contre des Israéliens, selon elle.
Latifa Abou Hamid, 74 ans, dit avoir voulu tracer « un autre chemin » pour ses enfants, celui « de l’enseignement et du savoir ». Le rêve de toute mère est d’éduquer ses enfants et de les voir fonder des familles. Il n’y a pas une mère qui va dire à son fils : +vas-y attaque+. »
« Aucune mère ne veut que son fils soit derrière les barreaux ou soit tué », ajoute-t-elle.
Mais ses enfants « vivent la réalité » d’un territoire occupé, selon elle. « Lorsqu’ils voient une mère et un père se faire frapper devant eux et qu’ils voient des centaines de soldats lourdement armés prendre d’assaut un camp, un village ou une ville et y faire des ravages. Ils gardent en mémoire ces événements (…) et tracent leur propre chemin en conséquence ».
Cette mère de famille vit dans une maison à Ramallah, qui lui a été offerte par le président de l’Autorité palestinienne qui siège en Cisjordanie occupée.
La sienne, dans le camp d’Al-Amari avait été démolie à trois reprises par les autorités israéliennes qui ont fini par confisquer le terrain sur lequel était bâtie la maison.
Israël détruit les maisons de Palestiniens auteurs d’attaques meurtrières contre des Israéliens. Une politique décriée par des organisations de défense des droits humains qui dénoncent un châtiment collectif.
Mais pour Latifa Abou Hamid, ce qui importe le plus désormais, c’est le sort de ses enfants toujours détenus par Israël.
La situation s’est compliquée davantage pour elle depuis le début de la guerre à Gaza, les autorités pénitentiaires israéliennes ayant annoncé « l’état d’urgence en prison », qui s’est traduit pour les détenus palestiniens par un durcissement des conditions de détention, dont la fin des parloirs.
La guerre a été déclenchée le 7 octobre par une attaque sans précédent du Hamas dans le sud d’Israël qui a entraîné la mort d’au moins 1.160 personnes, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP à partir de données officielles israéliennes.
Les opérations militaires lancées en représailles par Israël ont fait jusqu’ici près de 31.000 morts, en majorité des civils, selon le ministère de la Santé du mouvement islamiste.
Depuis le 7 octobre, selon l’Autorité palestinienne, plus de 420 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie par les forces israéliennes ou des colons. Des centaines d’autres ont été arrêtés.
Selon des associations de défense des prisonniers palestiniens, leur nombre est passé à environ 9.000 aujourd’hui, contre 5.200 avant le 7 octobre.
Latifa Abou Hamid affirme n’avoir « aucune information » sur ses enfants en prison. « Nous entendons des informations selon lesquelles un détenu est mort ou un autre est malade ». Ce qui augmente son anxiété.
« Le matin, j’ouvre la porte du salon, je salue mes enfants un par un, je leur parle, je demande de leurs nouvelles et je leur donne les miennes », dit-elle, en regardant les portraits de ses enfants.
« Je donne l’impression d’être solide et forte, et j’ai une grande foi en Dieu », ce qui cache, selon elle, « une tristesse et une douleur intenses ».
Pour d’autres mères palestiniennes, le drame est plus grand et plus récent.
Ibtissam Hussein Hazza, 53 ans, dit avoir été « marquée à jamais » par la journée du 7 janvier. Ce jour-là, elle a perdu quatre de ses enfants dans une frappe de drone, à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie.
« Un de mes fils m’a appelée et m’a informée que son frère était tombé en martyr. J’ai essayé d’appeler (…) mes fils, mais personne ne m’a répondu ».
Elle dit avoir subi « un accident vasculaire cérébral » à cause du choc.
Sept personnes qui étaient dans un café, selon des témoins, ont été tuées ce jour-là, dont ses quatre enfants : Darwish (29 ans), Hazzaa (27 ans), Ahmed (24 ans) et Rami (22 ans).
Selon l’armée israélienne, elle avait visé ce « groupe de terroristes » qui avait lancé ce jour-là « des engins explosifs sur un véhicule militaire », provoquant la mort d’un militaire israélien et la blessure d’autres.
Ibtissam Hussein Hazza affirme elle, que ses fils n’ont participé à aucune action militaire : « Je ne sais pas comment ils sont morts. Ont-ils beaucoup souffert? » Ces interrogations la dérangent.
« Je ne dors pas… à peine deux heures. Je me réveille la nuit et je prie. (…) J’ouvre leurs albums photos et je les regarde pendant des heures », dit-elle.
Source: AFP