À Téhéran, des diplomates iraniens déconcertés ont confié pour le journaliste américain en visite dans leur pays, Max Blumenthal, qu’ils soupçonnaient l’administration Trump d’exploiter les négociations nucléaires comme un instrument pour générer de l’instabilité afin d’affaiblir l’économie iranienne et de fomenter des conflits sociaux.
Alors que les négociations nucléaires entre l’administration Trump et le gouvernement réformateur iranien sont au point mort, j’ai eu deux longues conversations de fond à Téhéran la semaine dernière avec deux diplomates iraniens chevronnés ayant une connaissance détaillée des pourparlers de Mascate, à Oman.
Comme la plupart des Iraniens, les diplomates étaient impatients de conclure un accord durable qui permettrait d’alléger les sanctions. Mais ils ont déclaré que leur camp ne parvenait pas à percer auprès d’une équipe Trump qu’ils décrivent comme hésitante, divisée, distraite par d’autres conflits et incapable de maintenir une position cohérente. Pire, alors que les négociations s’éternisent, l’administration Trump s’aligne sur la position israélienne la plus dure, qui rejette tout enrichissement d’uranium, même à des fins civiles, violant ainsi un droit que Téhéran considère comme sacro-saint.
Les diplomates iraniens commencent maintenant à soupçonner l’administration Trump d’avoir une arrière-pensée en s’engageant dans les pourparlers, et d’exploiter les réunions à Oman comme un instrument pour générer de l’instabilité afin d’affaiblir l’économie iranienne et de fomenter des conflits sociaux.
Les commentaires qu’ils m’ont adressés font écho à l’avertissement lancé par le Guide de la République islamique d’Iran, l’ayatollah Khamenei, alors que Téhéran examinait la demande de M. Trump d’entamer des négociations nucléaires en mars dernier. « Négocier avec l’administration américaine n’aboutira pas à la levée des sanctions », a déclaré M. Khamenei. « Cela aura pour effet de resserrer le nœud des sanctions et d’accroître la pression.
Après deux mois de confusion politique et une escalade significative de la guerre financière américaine, les paroles de l’Ayatollah se sont avérées prémonitoires. Le gouvernement réformiste iranien risque maintenant de répéter la folie du plan d’action global conjoint de 2015, ou JCPOA, qui n’a pas réussi à alléger les sanctions de manière significative pendant la brève période précédant le démantèlement de l’accord par Trump, et qui a finalement conduit à un régime de « pression maximale » culminant avec l’assassinat par les États-Unis du général de division iranien Qasem Soleimani.
Le gouvernement iranien a entamé le dernier cycle de négociations sous une forte pression, Trump ayant envoyé une force de frappe de bombardiers B-2 à la base aérienne de Diego Garcia pour faire respecter ses exigences. Les négociations se sont également déroulées dans l’ombre des guerres de l’après-7 octobre, au cours desquelles les alliés régionaux de l’Iran ont subi de sérieux revers et où la dernière riposte qu’il a promise à Israël, la Vraie Promesse III, n’a toujours pas été mise en œuvre. Ebrahim Moehseni, chercheur iranien spécialisé dans l’opinion publique, m’a dit que les sondages qu’il avait effectués à l’époque montraient qu’une majorité d’Iraniens de tous les secteurs sociaux soutenaient les pourparlers.
Selon les deux diplomates à qui j’ai parlé à Téhéran, l’équipe de négociation iranienne est arrivée à Oman avec un sentiment de pessimisme, mais elle est rapidement devenue plus positive lorsqu’elle a réalisé que les Américains n’exigeaient pas que l’Iran rompe ses relations avec ses alliés au Liban et au Yémen, qu’il mette au rebut ses missiles balistiques à longue portée ou qu’il détruise ses réacteurs de Natanz et de Fordow. Mais après chaque échange encourageant, ils ont vu les principaux négociateurs de Trump faire des déclarations belliqueuses aux médias immédiatement après leur retour à Washington, revenant essentiellement sur les positions qu’ils avaient adoptées à Mascate. Les Iraniens soupçonnaient l’équipe de Trump, dirigée par l’avocat spécialisé dans l’immobilier Steve Witkoff, de se plier aux exigences d’Israéliens tels que la Fondation pour la défense des démocraties et son principal donateur, Miriam Adelson.
Au cours de chaque cycle de négociations, l’équipe iranienne a présenté des propositions concrètes pour surmonter les désaccords et maintenir l’élan. Mais selon les diplomates avec lesquels je me suis entretenu, ils ont dû attendre une semaine ou plus avant de recevoir une réponse des Américains. Ils ont décrit M. Witkoff comme étant distrait par d’autres missions diplomatiques et ont déclaré qu’il mettait souvent l’Iran en veilleuse alors qu’il s’occupait des négociations entre l’Ukraine et la Russie ou de la guerre de Gaza.
Les diplomates étaient particulièrement préoccupés par l’apparente lutte de pouvoir entre Witkoff et le secrétaire d’État Marco Rubio. Ils soupçonnaient Rubio d’exploiter les apparitions dans les médias américains pour donner l’impression de contrôler les négociations et craignaient que sa rivalité apparente avec Witkoff n’empêche l’équipe de Trump de parvenir à un consensus sur la question nucléaire.
Un diplomate iranien a fait référence au livre de l’historien Robert Dallek, The American Style of Foreign Policy, pour élucider son point de vue selon lequel l’approche contre-productive de l’administration Trump reflétait une crise plus profonde au sein de l’establishment américain. L’ouvrage de 1983 soutenait que les pressions intérieures et les changements sociaux à l’intérieur du pays ont placé les responsables de la politique étrangère américaine sur une trajectoire irrationnelle persistante. Le diplomate a cité l’ancien secrétaire d’État Tony Blinken comme étude de cas dans la thèse de Dallek, rappelant comment Blinken déplaçait régulièrement les poteaux de but des accords précédents avec l’Iran afin d’empêcher les négociations de prendre une forme concrète au cours des années Biden. Son implication, telle que je l’ai lue, était que la prépondérance de la pression du lobby israélien et de l’industrie militaire avait été trop écrasante pour permettre à l’administration Biden ou à l’administration Trump de mettre en œuvre un accord durable.
Les deux diplomates avec lesquels je me suis entretenu ont évoqué des rapports récents révélant que Witkoff avait promis au Hamas qu’il forcerait Israël à lever le siège de la bande de Gaza s’il libérait le prisonnier israélo-américain Edan Alexander. Ils ont été consternés de voir que M. Witkoff était revenu sur sa promesse et avait permis à Israël de massacrer des centaines de civils dans une frénésie apocalyptique tout au long de la semaine. Les tactiques de mauvaise foi de Trump avec le Hamas ont jeté un voile sur les négociations à Oman, alimentant le pessimisme iranien quant à la possibilité d’un accord viable.
Mais aucune déclaration n’a peut-être été plus préjudiciable à la perspective d’un accord que celle de M. Witkoff dans l’émission « This Week » de la chaîne ABC : « Nous avons une ligne rouge très, très claire, et c’est l’enrichissement. Nous ne pouvons pas autoriser ne serait-ce qu’un pour cent de capacité d’enrichissement ».
Ces commentaires s’inscrivent dans la lignée des négociateurs de Trump qui ont saboté les progrès réalisés à Oman en émettant des exigences et des menaces onéreuses immédiatement après leur retour à Washington. Peu de questions sont plus importantes pour le sentiment d’indépendance de la République islamique que son programme nucléaire civil.
La visite du réacteur nucléaire de Téhéran illustre la « bataille des volontés ».
À Téhéran, l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (AEOI) m’a invité, ainsi qu’un petit groupe de journalistes et d’universitaires, à visiter le centre de recherche nucléaire de la ville, un réacteur actif construit à l’origine avec l’aide des États-Unis sous le Shah.
Une fois à l’intérieur de la vaste installation (sans nos téléphones, les appareils d’enregistrement étant strictement interdits), nous avons eu droit à une exposition vantant les nombreux produits du programme nucléaire iranien qui permettent de sauver des vies, qu’il s’agisse des progrès de la radiothérapie, de la production de médicaments anticancéreux, de la stérilisation d’appareils médicaux ou de la protection de l’agriculture.
Cette visite était clairement destinée à illustrer l’importance de l’énergie nucléaire pour le développement national de l’Iran et l’engagement absolu de ses dirigeants à poursuivre le projet malgré la menace permanente d’assassinat, de sabotage et de guerre totale.
Après notre visite, nous avons rencontré Beyrouz Kamalvandi, un diplomate iranien chevronné qui fait désormais office de porte-parole de l’AEOI. Comme les autres diplomates iraniens avec lesquels je me suis entretenu, M. Kamalvandi a fait part de la volonté de son pays de respecter toutes les obligations qui lui incombent en vertu du traité de non-prolifération. Mais il considère le programme nucléaire civil de l’Iran comme la clé de la consolidation de son avance technologique et comme un droit absolu en vertu du droit international.
« Ils veulent faire avec nous ce qu’ils ont fait avec Gaza, où toute la société est assiégée », a proclamé M. Kamalvandi. « Mais nous avons une grande civilisation et ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne réalisent que nous ne nous soumettrons pas. Il ne s’agit pas seulement d’une bataille pour l’enrichissement, mais d’une bataille de volonté ».
À un moment de la réunion, M. Kamalvandi a désigné un jeune homme assis au dernier rang de la salle de conférence, lui a demandé de se lever et l’a identifié comme le fils du théoricien iranien des champs quantiques Massoud Ali-Mohammadi, qui a été assassiné par un agent du Mossad en 2010. Dix ans plus tard, l’Iran a perdu le parrain de son programme nucléaire, Mohsen Fakrizadeh, lorsque le Mossad a fait entrer clandestinement un drone mitrailleur dans le pays et l’a posté le long d’une route pour attaquer le convoi de Fakrizadeh. Kamalvandi, quant à lui, a été blessé et hospitalisé en 2021 alors qu’il inspectait une partie du réacteur de Natanz qui avait été endommagée par une attaque israélienne.
Aux yeux des dirigeants iraniens, la demande de Witkoff de mettre fin à l’enrichissement n’était pas seulement une recette pour gaspiller des décennies de progrès technologique, c’était aussi une insulte aux scientifiques de haut niveau abattus par les assassins israéliens. Si c’est là la nouvelle base de référence pour un accord, les négociations sont un exercice futile. Et pourtant, le spectacle continue.
Le sabotage économique sous couvert de négociations
Depuis le début des négociations, la valeur du rial iranien a fluctué de façon sauvage par rapport au dollar, s’améliorant après la première série d’échanges positifs, puis se dépréciant après chaque vague de menaces belliqueuses de Trump et de son équipe. J’ai personnellement été témoin du chaos financier iranien chaque fois que j’ai tenté d’échanger des dollars contre des rials, alors que les propriétaires d’entreprises consultaient leur téléphone pour connaître le nouveau taux, qui semblait changer d’un jour à l’autre en fonction de la rhétorique du président américain. Un ami m’a dit en plaisantant que j’aurais payé une chambre d’hôtel beaucoup moins chère pour ma famille si les négociations n’avaient pas eu lieu.
Les déclarations de M. Trump sur les négociations ont également ébranlé les marchés pétroliers. Le 16 mai, lorsque M. Trump a déclaré qu’il était « proche d’un accord » avec l’Iran, le prix du pétrole a chuté de 3,4 %. Puis Witkoff a appelé à cesser l’enrichissement et, le 20 mai, les services de renseignement américains ont divulgué un avertissement selon lequel Israël prévoyait d’attaquer les installations pétrolières iraniennes, ce qui a provoqué une hausse soudaine des prix du pétrole.
La capacité du président américain à manipuler les marchés financiers tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Iran avec ses fanfaronnades a contribué à donner le sentiment que l’entrée dans les négociations a affaibli la position politique de l’Iran. Parallèlement, les insultes grossières de Trump à l’égard du sens de l’honneur national et de la souveraineté de l’Iran ont perturbé la bonne volonté qui existait au début des pourparlers.
L’annonce par le président, le 7 mai, qu’il envisageait de renommer le golfe Persique « golfe Arabe » a suscité l’indignation dans tout l’Iran, réunissant tous les partisans du gouvernement, les réformistes et les monarchistes favorables au changement de régime pour s’opposer à l’insulte faite à leur fierté nationale. Téhéran a réagi en lançant une campagne d’affichage condamnant le changement et en intentant un procès à Google pour avoir respecté le changement de nom dans ses applications Maps.
Le discours de Riyad M. Trump a aggravé l’inimitié, car il a tenté de monter le public iranien contre ses dirigeants, louant ses hôtes monarchiques non élus pour avoir soi-disant « transformé les déserts secs en terres agricoles fertiles », tout en accusant les dirigeants iraniens de « transformer les terres agricoles vertes en déserts secs, car leur mafia corrompue de l’eau […] provoque des sécheresses et vide le lit des rivières. Ils s’enrichissent, mais ne laissent rien au peuple ».
Deux jours après le discours de M. Trump à Riyad, des tempêtes de poussière provenant des déserts grandissants d’Arabie saoudite se sont abattues sur l’Iran, obscurcissant le ciel de Téhéran et obligeant de nombreux habitants à rester chez eux. L’ironie de la situation n’a pas échappé à ceux qui ont entendu les louanges de M. Trump sur le prétendu miracle vert de la Maison des Saoud. Entre-temps, on a de plus en plus l’impression que les nuages de la guerre s’amoncellent également.
Un universitaire iranien bien informé à Téhéran m’a dit qu’il s’attendait à ce que son pays soit la cible de sabotages et de confrontations de la part d’Israël tout au long de l’été. Les deux diplomates avec lesquels je me suis entretenu ont insisté sur le fait que, dans un tel scénario, True Promise III était une option sur la table.
Par Max Blumenthal
Sources : The Grayzone ; Traduit par le site Groupe Gaulliste Sceaux.