Les affrontements ont repris jeudi soir dans le gouvernorat de Soueïda au sud de la Syrie entre les factions armées druzes et les factions des tribus.
Vendredi matin, des combattants de tribus arabes sunnites, qui ont afflué de différentes régions syriennes pour prêter main forte aux bédouins, étaient massés dans plusieurs villages autour de Soueida, selon trois correspondants de l’AFP sur place.
Un chef tribal, Anas Al-Enad, a affirmé au correspondant de l’AFP près du village de Walgha être venu avec ses hommes de la région de Hama (centre) « en réponse aux appels à l’aide des bédouins ».
Un correspondant de l’AFP a vu des maisons, des commerces et des voitures brûlés ou encore en train de brûler, dans le village druze de Walgha désormais sous contrôle des forces tribales et des bédouins.
« Pas de forces de sécurité »
A l’issue d’un accord de cessez-le-feu avec le Conseil de la communauté druze en Syrie, Damas avait assuré jeudi avoir retiré les forces armées de Soueïda et laissé aux forces de sécurité locales et aux cheikhs le contrôle de la province et sa ville.
Le ministère de l’Intérieur a démenti ce vendredi les informations selon lesquelles ses forces se sont déployées dans le gouvernorat.
« Nous assurons que les forces du ministère de l’Intérieur sont en état d’alerte normale sans aucun mouvement ou déploiement dans le gouvernorat jusqu’à ce moment », a déclaré son porte-parole Noureddine al-Baba.
Mais sur le terrain, des dizaines de tribus syriennes de toute la Syrie ont appelé à la mobilisation générale et ont entrepris de se rendre à Soueïda.
Selon le site d’information proches de ces tribus et pro régime, des appels ont été signalés dans le gouvernorat de Deraa, à l’ouest de Soueïda, celui de Deir Ezzor à l’est de la Syrie, celui de Homs… Ce qui risque d’élargir le champ des affrontements.
Les tribus de Deir Ezzor envoient des renforts aux tribus du sud
Le convoi des tribus de Deir Ezzor
Le convoi des tribus depuis Idleb
« Des éléments de l’armée en tenue des fils de tribus »
Selon le président de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) Rami Abdel Rahman qui siège au Royaume uni, parmi ceux qui portent les tenues des tribus figure « le commandant d’une division militaire et sont des membres des forces de sécurité »
Selon l’OSDH, « les combattants tribaux sont encouragés et soutenus par les autorités syriennes qui ne peuvent plus se déployer à Soueida en raison des menaces d’Israël ».
Le site d’information des tribus « Dernières infos de Soueïda » assure que les membres des tribus ont conquis plusieurs villages et avancent vers la ville éponyme « en dépit de la présence des avions israéliens » dans l’espace aérien.
Le site assure que les combattants des tribus ont trouvé un dépôt de missiles et d’obus anti blindés dans les périphéries de la province de Soueïda.
Plusieurs vidéos postés sur le compte Telegram de ce site montrent les combattants des tribus raser la moustache des druzes.
Cheikh al-Hejri, « un traitre »

Les tribus du sud syrien assurent riposter aux agressions des factions druzes d’al-Hejri qui « ont entrepris de tuer et persécuter nos fils dès que les forces gouvernementales sont parties ».
Dans les médias des tribus pro Damas, le guide spirituel de la communauté druze Hekmat al-Hejri est qualifié de « traitre » et d’aucuns avancent que sa tête est mise à prix, en échange d’un million de dollars.
Il avait refusé le cessez-le-feu, appelant sa communauté à poursuivre le combat.
« 2000 fils des tribus captifs »
« Plus de 2000 fils des tribus sont détenus en captivité chez les druzes », a assuré cheikh Rakane al-Khudeir, le président du Rassemblement des tribus du sud de la Syrie pour la chaine qatarie al-Jazeera.
Al-Khudair a critiqué le gouvernement syrien, affirmant que les tribus ont été surprises par l’accord qui a conduit au retrait des forces gouvernementales de Soueïda, laissant les tribus assiégées.
Il a ajouté : « L’abdication de l’État face à ses responsabilités est inacceptable. Autrement, chacun a le droit de se protéger. Si l’État est incapable d’assurer la sécurité, les tribus prendront les choses en main. »
Al-Khudair a argué « avoir documenté des décapitations d’enfants et de viols de femmes ».
Ces informations n’ont pas été confirmées de sources indépendantes.
Chiffres de l’OSDH
Selon le bilan de l’OSDH établi jeudi, 597 personnes ont été tuées dans les affrontements depuis dimanche 13 juillet :
217 personnes originaires du gouvernorat de Soueïda, dont 71 civils dont 4 enfants et 2 femmes
275 membres du ministère de la Défense et des forces de sécurité générale dont 18 membres des tribus bédouines.
Concernant les liquidations qui ont été perpétrées dans le gouvernorat de Soueïda, l’OSDH rend compte de « 83 druzes dont 4 femmes qui ont été exécutés par les éléments du ministère de la Défense et de l’Intérieur ».
Il indique que « 3 membres des tribus bédouines, dont une femme et un enfant ont été exécutés par les factions druzes ».
Images de massacres de druzes
Dans les médias pro druzes, d’innombrables vidéos des victimes druzes sont postées. Elles montrent des cadavres de druzes.
Le site SYRDOC rapporte des accusations à l’adresse des éléments du ministère de la Défense et de l’Intérieur d’avoir commis les massacres.
Depuis Soueïda, le père Tony Boutros, représentant de l’Eglise catholique romaine a condamné les actes criminels a Soueïda. « Nous sommes avec nos frères druzes, main dans la main et nous resterons avec eux. Nous ne les abandonnerons pas dans nos maisons et nos églises. Nous vivons avec eux et nous mourrons avec eux quel que soit le gouverneur », a-t-il déclaré pour SYRDOC.
Dans la ville même, privée d’eau et d’électricité et où les communications sont coupées, « la situation est catastrophique. Il n’y a même plus de lait pour nourrissons », a déclaré à l’AFP le rédacteur en chef du site local Suwayda 24, Rayan Maarouf.
Jeudi matin, un photographe de l’AFP a compté 15 corps gisant dans le centre de la ville de Soueïda.
Certains des corps étaient boursouflés, semblant indiquer qu’ils ont été tués depuis plusieurs jours. Les forces gouvernementales ont été accusées par des ONG, des témoins et des groupes druzes d’exactions, dont des exécutions sommaires, selon l’AFP.
L’expert franco-syrien en Data Mining Firas Abou Latif a été retrouvé tué et brûlé dans sa maison dans la ville de Soueïda. Il était en visite chez sa famille, précise le site SYRDOC qui accuse les éléments du ministère de la Défense et du service de sécurité générale de l’avoir exécuté.
Des médias ont rapporté aussi que dans les universités syriennes, notamment celle d’Alep, des étudiants druzes ont été victimes d’attaques de leurs collègues dans le dortoir universitaire. Ils ont été transférés vers les deux quartiers Achrafiyeh et Cheikh Maqsoud contrôlés par les milices kurdes des Forces démocratiques syriennes.
Charaa : Les « hors-la-loi ont violé l’accord de cessez-le-feu »
S’exprimant pour la première fois après les combats qui ont fait près de 600 tués à Soueïda, le président par intérim syrien Ahmad al-Charaa a déclaré jeudi que « ce qu’il se passe est le résultat de la prolifération des armes et de l’intervention étrangère ».
Il a assuré que l’État syrien est engagé à tenir responsables tous ceux qui violent la loi et refusent de se soumettre à l’autorité de l’État, afin de préserver l’unité du pays et de protéger la dignité et la sécurité de ses citoyens.
« Nous avons répondu à la médiation américaine et arabe pour épargner au pays davantage d’escalade », a-t-il affirmé.
Al-Charaa a repris la version des faits des tribus du sud, assurant qu’après le retrait des forces de l’armée, « des groupes hors-la-loi ont commis des actes de violences horribles », le terme est utilisé par le gouvernement pour désigner les factions druzes de Soueïda.
Et le président intérimaire syrien « de mettre en garde contre les ingérences israéliennes flagrantes dans les affaires internes syriennes ».
Dans une déclaration, la présidence a accusé les « forces hors-la-loi » de violer l’accord en se livrant à des « violences horribles » contre les civils, y compris des « crimes qui contreviennent complètement aux obligations de médiation, menacent directement la paix civile et poussent vers le chaos et l’effondrement de la sécurité ».
Soutien arabe et turc à Charaa
Ce vendredi, al-Charaa a reçu trois appels téléphoniques du prince héritier saoudien Mohammed ben Salman, du président turc Recep Tayyip Erdogan et de l’émir qatari Tamim ben Hamad Al Thani. Ils lui ont exprimé leur pleine solidarité avec la Syrie, et leur rejet catégorique de toute ingérence étrangère, en particulier les attaques israéliennes répétées sur le territoire syrien, qu’ils ont qualifiées d’escalade dangereuse qui menace la sécurité et la stabilité de la région.
Les dirigeants arabes et turc ont également souligné leur soutien à l’unité et à l’intégrité territoriale de la Syrie, ainsi que l’importance d’imposer la souveraineté de l’État syrien sur tout son territoire, afin de parvenir à la sécurité et à la stabilité au profit du peuple syrien dans toutes ses composantes.
Dans un contexte connexe, les ministres des Affaires étrangères de 12 pays arabes et régionaux ont affirmé leur soutien à la sécurité, à l’unité, à la stabilité et à la souveraineté de la Syrie, et leur rejet de toute forme d’ingérence étrangère dans ses affaires. Ils ont appelé à soutenir les efforts du gouvernement syrien pour reconstruire le pays.
Pas de raids israéliens
Israël a démenti vendredi les informations de l’agence officielle syrienne Sana selon lesquelles son armée a mené de nouvelles frappes aériennes jeudi soir près de Soueïda.
« L’armée israélienne n’a pas connaissance de frappes nocturnes en Syrie », a déclaré à l’AFP un porte-parole militaire.
Israël a bombardé l’armée syrienne à Soueïda et à Damas en début de semaine, disant chercher ainsi à faire pression sur le gouvernement syrien pour qu’il retire ses troupes de cette région meurtrie par des affrontements intercommunautaires.
ONU : abus commis par des forces de sécurité et des groupes armés
Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Volker Türk a demandé vendredi une enquête rapide après les affrontements dans le sud de la Syrie.
« Cette effusion de sang et cette violence doivent cesser, et la protection de toutes les personnes doit être la priorité absolue. Des enquêtes indépendantes, rapides et transparentes doivent être menées sur toutes les violations, et les responsables doivent être amenés à rendre des comptes », a déclaré M. Türk, dans un communiqué.
Il a assuré l’existence d’informations crédibles faisant état d’abus généralisés, notamment d’exécutions, perpétrés par les forces de sécurité et des éléments armés à Soueïda.
Source: Divers