Rosneft avance ses pions au Kurdistan, alors que Bagdad somme BP d’y « revenir au plus vite »… Quant au groupe Total, il s’intéresse à des champs dans le sud du pays: les majors pétrolières reprennent position face à l’Irak, chacune à sa façon.
Au moment où les analystes s’inquiètent des tensions entre le gouvernement central irakien et les indépendantistes kurdes, le groupe semi-public russe Rosneft a jeté de l’huile sur le feu en signant mercredi un accord avec le Kurdistan irakien.
Le jour même où Bagdad disait avoir repris la quasi-totalité des champs pétroliers de la province de Kirkouk, Rosneft annonçait un accord prévoyant de payer jusqu’à 400 millions de dollars aux autorités kurdes pour exploiter les vastes ressources de la région en hydrocarbures.
Réaction rapide de Bagdad: le ministre irakien du Pétrole, Jabbar al-Louaibi, a vivement dénoncé jeudi une « ingérence flagrante dans les affaires intérieures » du pays.
En même temps, une autre région irakienne, le Sud, se trouvait cette semaine sous les regards des investisseurs, puisque le géant français Total a manifesté son intérêt pour deux champs: Majnoun et Nassiriya.
« Ce n’est pas du tout sur le même plan », rappelle Pierre Terzian, directeur de l’institut Pétrostratégies.
Du côté de Total, il ne s’agit pour l’heure que d’une manifestation d’intérêt, quelques années après avoir raté un contrat au profit de l’anglo-néerlandais Shell sur le champ de Majnoun.
Bagdad avait préféré en 2009 l’offre de Shell qui consistait à développer le champ pour arriver à une production de 1,8 million barils par jour (bj), mais ce chiffre est apparu exagéré et tous les contrats ont depuis été révisés à la baisse.
De fait, Patrick Pouyanné, PDG de Total, a bien prévenu mercredi qu’il ne reprendrait pas Majnoun « aux mêmes conditions que Shell », soulignant que les cours étaient bien plus bas qu’en 2009 malgré une récente reprise du marché.
Stratégie russe
Mais « pour Rosneft, c’est tout à fait autre chose », a poursuivi M. Terzian.
« Il y a toute une stratégie de la part de la Russie d’implantation au Kurdistan irakien. »
Les Russes « se sentent suffisamment forts pour ne pas tenir compte de la colère de Bagdad et (…) aller de l’avant tout en sachant qu’ils ont des intérêts » ailleurs en Irak, avance-t-il.
Du côté de Rosneft, on joue la carte purement économique quand bien même son patron, Igor Setchine, est un proche du président russe Vladimir Poutine.
« Je ne suis pas un homme politique, mon problème c’est de produire du pétrole », a déclaré M. Setchine, cité par l’agence Interfax. « S’il y a des problèmes entre le gouvernement irakien et le Kurdistan, c’est à eux de les résoudre. »
Pour reprendre la main sur la région, Bagdad s’est tourné vers un autre acteur, le britannique British Petroleum (BP), le ministre irakien du Pétrole lui demandant mercredi de » prendre au plus vite les mesures nécessaires pour développer les infrastructures pétrolières de Kirkouk ».
« Les Irakiens sont en train d’essayer de faire intervenir plusieurs grandes majors pétrolières pour explorer la région », avance Bob Yawger, de Mizuho Securities, estimant que Bagdad avait tout intérêt « à rester en marge et laisser agir les acteurs du secteur ».
BP reste pour l’heure très prudent: le groupe avait signé un contrat d’études en 2013 sur un champ kurde, mais avait dû cesser son travail après que les combattants locaux (peshmergas) se furent emparés des champs l’année suivante, profitant du chaos né de l’offensive éclair des jihadistes du groupe Etat islamique (EI) en Irak.
« Nous connaissons bien Kirkouk… Il y a beaucoup à faire là-bas », s’est contenté de dire Bob Dudley, PDG du groupe, interrogé sur le sujet lors d’un forum du secteur pétrolier à Londres.
Source: AFP