Dans une interview exclusive accordée à la chaine satellitaire libanaise alMayadeen, l’ancien responsable américain à la la CIA Emile Nakhlé, a affirmé que « l’Arabie saoudite risque fort de connaitre le même sort que le Bahrein » soulignant que « les responsables du renseignement militaire aux États-Unis ainsi qu’en Israël, sont fortement opposés à la guerre contre l’Iran, voire ils mettent en garde contre le prix exhorbitant que devra payer les Etats-Unis dans cette guerre, sans compter les répercussions négatives sur l’ Arabie Saoudite et même l’Europe ».
Emile Naklhé est l’une des plus prestigieuses personnalités américaines, réputé pour sa connaissance inégalée dans les affaires de la région. Il a travaillé à la CIA entre 1993 et 2006 comme directeur du programme de l’analyse stratégique de l’ islam politique, ainsi que Directeur de l’unité de l’analyse régionale au Bureau d’analyse pour le Proche-Orient et en Asie du Sud.
Concernant la politique de Trump au Moyen-Orient, M.Nakhlé estime que « Trump n’a pas de stratégie globale de la région. Il a estimé que le rapprochement de Trump envers les pays du Golfe , comme l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, ne garantit pas la stabilité de la région encore moins ne sert les intérêts, à long terme des États-Unis ».
M.Nakhlé a également prédit, que le régime des tribus ou des clans dans les pays du Golfe ne peut pas durer, notamment en Arabie Saoudite et à Bahreïn.
Principaux points de l’interview:
AlMayadeen: Comment voyez-vous l’avenir de l’Arabie saoudite et du Bahreïn, un autre Etat qui vous avez traité durant une longue période?
Nakhlé: Le Bahreïn est encore gouverné par une minorité sunnite, un régime autoritaire qui commet de graves violations contre les droits de l’Homme, en particulier contre la majorité chiite. L’implication du régime des Khalifa dans des actes de torture , des détentions illégales et de faux procès, souvent contre des militants appelant à la démocratie pacifique. Les organisations et commissions internationales des droits de l’Homme ont dénoncé à plusieurs reprises les politiques répressives dU Bahreïn .
Depuis les soulèvements arabes en 2011, le Bahreïn est devenu pour des raisons différentes, contrôlé par l’Arabie Saoudite. Une telle situation à Bahreïn ne peut se poursuivre ou durer dans les cinq années à venir. L’Arabie Saoudite sera également face à un sort similaire, malgré des centaines de milliards de dollars versés par Mohammad bin Salman dans les grands projets de développement du pays. Ben Salman a réprimé toute opposition au sein de la famille régnante des Saoud et dans le pays en général et cela se retournera contre lui à long terme. La nouvelle génération de la famille des Saoud n’a pas ce lien avec les Saoud comme leurs parents et leurs grands-parents, ils n’hésitent pas à recourir aux réseaux sociaux afin d’exprimer leur sentiment d’injustice contre la domination autoritaire des Saoud. Il est fort possible que l’affrontement de la jeunesse saoudienne au régime sera plus longue que celui de leurs homologues à Bahreïn, ce qui est certain c’est que le régime des clans dans les Etats du Golfe disparaîtra au cours des prochaines années.
AlMayadeen: concernant les politiques de Trump dans la région, a-t-il une stratégie au Moyen-Orient, si oui, comment la qualifiez-vous?
Nakhlé: La politique de Trump envers le Moyen-Orient semble être basée sur l’improvisation, elle n’a pas la forme d’une stratégie globale. La politique américaine envers le Moyen-Orient sous la direction de Trump est guidée par des propos et des tweets mal étudiés, sans compter ses déclarations contradictoires et ses improvisations vides. Une seule chose stable dans la position de Trump est sa haine envers l’Iran et son désir d’annuler l’accord nucléaire . La stabilité, la prévisibilité, la flexibilité et les alliances, sont tous les caractéristiques des politiques étrangères menées par les prédécesseurs de Trump envers le Moyen-Orient. Elles ont disparu du lexique de l’actuel président des États-Unis, et cela nous nuit aux intérêts nationaux des USA dans la région et aussi à la stabilité de la région.
AlMayadeen: Trump a renforcé les relations avec les Etats du Golfe, comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, quelles sont les répercussions de ce renforcement pour la région et pour les États-Unis, y compris la guerre contre le terrorisme?
Naklé: Trump semble se rapprocher des dictatures et des dictateurs émergents. Les psychologues expliquent ce phénomène en disant qu’il reflète la tendance tyrannique de Trump. L’activité et le dynamisme des groupes de pression qui travaillent pour le compte de l’Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis à Washington sont énormes, et ce en raison des sommes d’argent astronomiques dépensées par ces deux pays sur ces efforts. La plupart des observateurs estiment que la stabilité à long terme dans le Golfe ne peut être réalisée sans la participation de l’Iran. Cela signifie que les deux bords du Golfe devraient jouer un rôle dans l’élaboration d’un avenir sans conflit dans le Golfe et dans la région en général. Se rapprocher de l’Arabie saoudite et des EAU ne garantit pas la stabilité régionale ou les intérêts américains encore moins la sécurité américaine à long terme.
AlMayadeen: Après le dernier discours de Trump sur l’Iran et l’accord nucléaire, voyez-vous quelque chose de similaire à la période qui a précédé la guerre en Irak autrement dit, nous dirigeons-nous vers une guerre américaine contre l’Iran?
Nakhlé: Nos hauts responsables politiques sont censés avoir tiré une leçon de la guerre désastreuse en Irak. Le discours de Trump sur la guerre contre l’Iran peut servir les intérêts de l’Arabie Saoudite et le gouvernement de l’extrême-droite de Netanyahu en Israël à court terme. Un tel discours satisfait les néo-conservateurs au sein de l’administration de Trump et du Congrès. Cependant, le coût humain et le financement de toute guerre irresponsable et injustifiée au Moyen-Orient, seront exhorbitants pour Washington et les peuples de la région. Et si certains politiciens encouragent la guerre, les hauts responsables du renseignement militaire américain et même en Israël, anciens et actuels, s’opposent à cette politique irresponsable.
AlMayadeen: Comment estimez-vous les conséquences d’une guerre contre l’Iran?
Nakhlé: une terrible catastrophe et un coût humain incalculable! Les répercussions d’une telle guerre seront ressenties par l’Arabie saoudite et les autres pays du CCG ainsi que dans l’économie mondiale. Si les installations pétrolières et hydrauliques saoudiennes sont gravement endommagées, les Saoudiens ressentiront la douleur de la guerre avant les autres pays. Et si les trois couloirs stratégiques sont fermés en raison d’un conflit régional, c’est-à-dire le détroit d’Ormuz et Bab el Mandeb et le canal de Suez, les navires commerciaux seront cloués dans les ports et cela conduira à une déflation importante de l’économie mondiale, et probablement à une nouvelle vague de réfugiés qui se rassembleront aux frontières de l’Europe.
AlMayadeen: Vous avez écrit que Washington devrait s’associer avec l’Iran dans la lutte contre le terrorisme. Qu’est-ce qui empêche les États-Unis de s’associer à l’Iran dans la guerre contre le terrorisme? Dans le même temps, comment voyez-vous le rôle du Hezbollah dans la lutte contre les groupes terroristes en Syrie et ailleurs?
Nakhlé: Washington et de nombreux pays européens considèrent que le Hezbollah est une organisation « terroriste », et donc ils rejettent toute idée qui estime que le Hezbollah combat le terrorisme en Syrie. Les racines de l’Iranophobie sont profondes aux États-Unis, et cela revient à la crise des otages en 1979. Après les événements du 11 Septembre, les Etats-Unis et l’Iran ont travaillé en étroite collaboration contre Al-Qaïda, mais cette coopération n’a pas duré longtemps. En dépit de l’accord nucléaire conclu par la communauté internationale avec l’Iran après des années de négociations, Washington et l’administration de Trump estiment toujours que Téhéran soutient le terrorisme, provoque l’instabilité et s’ingère dans les affaires des pays voisins. Comme vous pouvez le constater l’Iran aspire à posséder des armes nucléaires.
Bien qu’il soit logique de dire que le partenariat avec l’Iran renforcerait la lutte contre le terrorisme, je ne pense pas que la direction de Trump saisira, dans un proche avenir, une telle opportunité. Alors que l’administration Obama a séparé le dossier nucléaire et des autres volets de la politique étrangère de l’Iran, sachant que l’ancien ministre des Affaires étrangères John Kerry et d’autres grands décideurs politiques la jugaient répréhensible. L’administration de Trump et ses partisans au Congrès militent pour l’intégration de tous les aspects de la politique étrangère de l’Iran dans le dossier nucléaire. Ainsi, l’avenir de l’accord nucléaire et voire celui de tout rapprochement américano-iranien est sombre.
Rizk: Vous insistez toujours dans vos écrits sur la relation entre le terrorisme et le wahhabisme, pouvez-vous nous donner une idée des expériences que vous avez eues dans la CIA et qui vous ont fait convaincu de la relation organique entre le wahhabisme et le terrorisme?
Nakhlé: le wahhabisem prêche un islam extrêmiste et étroit d’esprit . Ces interprétations ont conduit à un des actes extrêmes et sanglants par certains adeptes de cette catégorie de l’islam sunnite. Cependant, je dois souligner que tous les wahhabites ne sont pas extrémistes ou terroristes. Une écrasante majorité des wahhabites sont des citoyens respectueux de la loi, mais une minorité tend vers la violence suite à cette pensée religieuse.
AlMayadeen: Pensez-vous que la seule façon de mettre fin au terrorisme est de se débarrasser de la doctrine wahhabite-takfiriste?
Nakhlé: L’idéologie salafiste wahhabite est basée sur l’école hanbalite de la jurisprudence de l’islam sunnite (les trois autres écoles sont Shafi’i, Maliki et Hanafi), et donc il est presque impossible de l’éradiquer. Cependant, on peut revoir certains des enseignements prônés par de nombreux religieux et imams dans leurs mosquées et les écoles wahhabites, afin de rendre le wahhabisme plus acceptable pour les autres musulmans comme les chiites et les soufis et les adeptes d’autres -sectes, ainsi que pour les non-musulmans tels que les chrétiens et les juifs. Les prédicateurs religieux wahhabites doivent faire la distinction entre l’idéologie salafiste wahhabite et la pratique takfiriste qui qualifient les autres musulmans ou les non-musulmans d’infidèles ou d’apostats et qui doivent être tués sans aucune pitié.
AlMayadeen: Les Etats-Unis affirment qu’ils sont dans un état de guerre avec des groupes terroristes et takfiristes comme Al-Qaïda depuis des décennies, pourquoi n’ont-ils pas réussi à éliminer ce phénomène?
Nakhlé: Les Etats-Unis ont ciblé les groupes extrémistes terroristes – soldats et dirigeants – par des moyens militaires, et souvent ils ont réussi à éliminer bon nombre de ces dirigeants soit sur le terrain ou en les traduisant en justice. Bien sûr, l’élimination d’un extrémiste ou d’un terroriste violent est beaucoup plus facile que d’éliminer une idéologie extrêmiste qui constitue la base du terrorisme takfiriste. Si cette idéologie provient d’un état ami comme l’Arabie Saoudite, qui a des liens économiques étroits et militaires avec Washington, l’élimination d’une telle idéologie ou le fait de la contrecarrer devient une tâche difficile. Chaque fois que les Américains ont posé cette question aux dirigeants saoudiens, ils étaient repoussés et accusés d’ingérence dans la façon dont les Saoudiens connaissent comment expliquer le wahhabisme dans leurs écoles islamiques.
AlMayadeen: Pensez-vous que l’Arabie Saoudite est capable de réduire le rôle du wahhabisme en raison des efforts déployés par le prince héritier Mohammad bin Salman, visant à la modernisation du pays?
Naklhé: Je pense que le prince héritier Mohammad ben Salman est sérieux dans son ambtion de réduire l’influence des religieux radicaux dans le royaume. Selon les rapports, il a expulsé beaucoup d’entre eux et comptent revoir leurs manuels pour enseigner un Islam plus modéré. Le succès de ces efforts reste discutable, d’autant plus que les centres de pouvoir des religieux conservateurs en Arabie Saoudite continuent de jouir d’une influence énorme.
Source: Médias