Le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est montré agacé lors du point presse du 5 janvier, donné aux côtés de son homologue français Emmanuel Macron au terme de leur rencontre à Paris, en raison de la pugnacité d’un journaliste de France 2 pour Envoyé Spécial, Laurent Richard.
En effet, ce dernier a osé interpeller le président turc sur le supposé «double-jeu» de la Turquie en Syrie et son éventuel «soutien à certains groupes armés takfiristes» : «La France et l’Union européenne peuvent-elles décemment vous faire confiance en matière de lutte contre le terrorisme, sept ans après le début du conflit en Syrie ? Regrettez-vous d’avoir fourni autant d’armes, autant de munitions aux groupes de combattants islamistes et d’avoir laissé passer autant de djihadistes en Syrie, en route vers la Syrie, par votre pays la Turquie ? […] Avez-vous oui ou non, comme des informations nous sont parvenues, fait libérer des membres de Daesh en échange de la libération du personnel turc du consulat turc de Mossoul ?»
Recep Tayyip Erdogan, visiblement irrité, réplique à plusieurs reprises au journaliste: «Qui a envoyé des armes en Syrie ?» Ce dernier répond : «Il y a les camions des services de renseignement [turcs], les services du MIT, qui ont été interceptés en 2014 et en décembre 2013 sur un poste-frontière et à l’intérieur desquels on a retrouvé des mortiers. Ces images ont été filmées et ont été immédiatement censurées…»
Le président turc coupe alors le journaliste et passe au tutoiement : «Toi tu parles comme quelqu’un du FETÖ [mouvement de Fethullah Gülen, accusé d’être impliqué dans la tentative de coup d’Etat de l’été 2016], avec leurs arguments.»
Laurent Richard souhaite obtenir une réponse : «Moi je parle comme un journaliste.» Recep Erdogan reste sur ses positions : «Tu parles exactement comme un membre du FETÖ.»
Le chef de l’Etat turc a ensuite pris pour cible les Etats-Unis, également engagés dans le conflit en Syrie. «Tu me poses cette question, mais les Etats-Unis ont envoyé 4 000 camions d’armes en Syrie. Pourquoi est-ce que tu ne me poses pas cette question ? 4 000 camions d’armes ont été apportés par les Etats-Unis, tu es journaliste, tu devrais le savoir. Tu devrais aussi poser des questions là-dessus, insister. Pourquoi est-ce que tu ne me poses pas de questions là-dessus ?», interroge le chef de l’Etat turc.
S’ensuit un moment de silence tendu de plusieurs secondes, avant qu’Emmanuel Macron ne tente de détendre l’atmosphère : «Donc, la réponse était non. Il n’y en a pas eu.»
Les quelques rires de la salle trahissaient-ils le flou de la réponse du président de la République ? Evoquait-il le supposé acheminement d’armes en Syrie à destination des groupes takfiristes par la Turquie ou la supposée libération par la Turquie de membres de Daesh ?
Toutefois, le malaise s’installant, le président français a poursuivi, se voulant rassurant : «Aujourd’hui nous travaillons très bien avec la Turquie dans toute la région […] Il y a une vraie coopération en matière de lutte contre le terrorisme dans un pays qui voisine une zone extrêmement déstabilisée, qui est lui-même déstabilisé par les réfugiés et où les échanges d’informations sont vitaux.»
Malgré tout, plus tard lors de la session de questions-réponses entre les chefs d’Etat et la presse, Recep Tayyip Erdogan a réitéré sa critique vis-à-vis des Etats-Unis. «Les Etats-Unis qui sont nos amis au sein de l’OTAN – nous leur avons dit – continuent encore à envoyer des tonnes de camions d’armes, de blindés et de munitions à deux groupes armés kurdes [considérés comme terroristes par la Turquie]. Ce n’est pas possible : si nous sommes alliés il faut faire le nécessaire […] [Les Etats-Unis] essaient de combattre une organisation terroriste [Daesh] avec l’aide de deux organisations terroristes. Cela n’est pas de la lutte contre le terrorisme», s’est indigné le dirigeant turc.
Les questions posées par Laurent Richard au président Erdogan semblaient faire référence aux révélations publiées par le quotidien turc Cumhuriyet en mai 2015. Ce dernier avait diffusé des images d’obus de mortier dissimulés sous des médicaments dans des camions, officiellement affrétés par une organisation humanitaire, qui avaient interceptés en janvier 2014 par la gendarmerie turque, près de la frontière syrienne.
Source: Avec RT