Ce qui se passe actuellement en Syrie et dans une grande partie de l’Irak est fort étrange. Plus qu’un cas d’école, la montée en puissance du déploiement US dans la partie extrême orientale de la Syrie est concomitant avec la percée militaire turque vers la profondeur stratégique syrienne ou l’hinterland de cet Etat-nation. Pourtant cette concordance des fins se base sur un antagonisme des moyens utilisés.
Si les forces US se déployant au nord-est de la Syrie s’appuient sur des forces supplétives à majorité kurde-mais pas uniquement-, l’Armée turque, deuxième plus grande force terrestre de l’OTAN, compte sur des forces supplétives recrutées parmi les débris de l’Armée Syrienne Libre (ASL-rébellion), des terroristes dégagés de la Ghouta orientale (l’Armée turque a publiquement demandé à ce que ces derniers rejoignent les rangs de ses forces supplétives) et d’autres organisations armées rebelles.
Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, les forces US justifient leur présence par la lutte contre Daech et plus vraisemblablement la nécessité de peser sur la politique complexe du Levant en y contrant l’influence iranienne mais surtout la présence russe sur le littoral maritime syrien. Les Turcs justifient leurs opérations en Syrie par l’impératif d’éradiquer toute éventuelle entité kurde autonome ou indépendante.
En apparence, les intérêts d’Ankara et de Washington se heurtent sur ce point. En réalité, un scénario surprenant est en train de se mettre en place.
Les forces turques comptent pénétrer en Syrie jusqu’à la province de Homs où ils ont établi un premier check point. Cela est révélateur à plus d’un titre.
Dans une conversation en privé avec un richissime dirigeant d’un grand Royaume pétrolier de la péninsule arabique, le président US Donald Trump s’est interrogé sur l’utilité de dépenser des milliards de dollars US en Syrie et en Irak tout en remettant en question la présence militaire US en Syrie. Devant les protestations de son interlocuteur, qui voulait un plus grand engagement militaire en Syrie de la part de Washington, Trump lui rétorqua assez cyniquement qu’il fallait payer pour cela. Le prince se mit à lui rappeler les centaines de milliards de dollars dépensés jusqu’ici lorsque Trump lui dit: «sans nous [les américains], vous ne tiendrez pas deux semaines tout au plus et au bout de la deuxième semaine, vous allez voyager à bord d’avions commerciaux en classe économique et vous pouvez donc oubliez vos jets privés ».
En gros, Trump monnaye la présence US en Syrie par un plus grand engagement financier de la part des pays arabes du Golfe acharnés à détruire le régime syrien.
Washington et Ankara préparent un scénario ressemblant à celui ayant prévalu entre 1971 et 1975 au Vietnam au bénéfice de Hanoï.
En laissant les forces turques avancer en territoire syrien avec des supplétifs locaux rebelles sous couvert de lutter contre la subversion kurde pendant que les forces américaines achèvent de fortifier le nord-est de la Syrie afin de sécuriser des bases d’invasion, les stratèges de l’OTAN espèrent y déclencher un changement de paradigme visant à expulser indirectement les Russes du littoral méditerranéen.
La formation de troupes rebelles arabes et kurdes dans le Nord-est par Washington coïncide avec la création de l’Armée Nationale Syrienne (ANS) par la Turquie. La Turquie joue le rôle de la lance tandis que pour le moment les USA forment un bouclier en expansion. C’est une conquête d’un nouveau type. Hybride ou de type H. Après tout, la reconquista espagnole avait démarré de l’extrême Nord-ouest de la péninsule ibérique selon les termes mêmes d’un général US impliqué et qui adhère à la vision dominante selon laquelle la Syrie et l’Espagne partagent beaucoup de points similaires.
Une invasion? Non Sire, c’est une expansion en négation sous un nuage de vrais faux prétextes où les intentions se perdent et les objectifs paraissent de plus en plus vagues. Le coup de cheval de Troie n’est pas très loin.
Damas est au courant de ce plan. Pour pouvoir y faire face, il est impératif de se débarrasser définitivement de ce cancer terroriste qu’est devenu la Ghouta orientale, re capturée à 95%. A Douma, les combattants ont assassiné les chefs de leurs « Armées » pour avoir négocié la reddition avec les forces loyalistes mais leur sort ne semble plus souffrir l’ombre d’un doute. Ils seront défaits. C’est après la libération de la Ghouta orientale que l’OTAN pourrait passer à un stade plus élevé de la subversion en la transformant en une sorte d’invasion à reculons.
La Syrie, la Russie et l’Iran semblent se préparer à un tel cas de figure. Une organisation armée pro-gouvernementale dénommée « les forces de la résistance populaire contre la présence US dans le Nord-Est de la Syrie » a déjà commencé à cibler les forces US et leurs alliés. Retour aux fondamentaux: seule une résistance populaire peut faire face à une invasion, aussi étrange qu’elle puisse paraître…
Source: Strategika