Aucune humiliation ne sera-t-elle épargnée aux Palestiniens ? Après Oslo, après la « solution des deux États », après les années d’occupation israélienne – de la « zone A » et de la « zone C » pour définir sous quel type d’occupation les Palestiniens doivent vivre – après la vaste colonisation juive de terres volées à ses propriétaires arabes, après les massacres de Gaza, et la décision de Trump selon laquelle Jérusalem, la grande Jérusalem, doit être la capitale d’Israël, les Palestiniens vont-ils être appelés à se contenter d’argent et d’un village misérable ? N’y a-t-il plus de honte ?
Car les Palestiniens se verront bientôt proposer l’ «accord ultime »– « ultime » , comme le dernier accord définitif, décisif, à prendre ou à laisser. Un village misérable comme capitale, une colonisation sans fin, pas de sécurité, pas d’armée, pas de frontières indépendantes, pas d’unité – en échange d’une énorme somme d’argent, des milliards de dollars et d’euros, des millions de livres, des millions de dinars, de shekels, de spondulix et de lucre sale, du vrai « pognon ».
Le prince héritier Kushner a dit cette semaine : » Je crois que le peuple palestinien est moins investi dans les sujets de discussion des politiciens que dans la façon dont un accord leur donnera, ainsi qu’à leurs générations futures, de nouvelles opportunités, des emplois plus nombreux et mieux rémunérés et des perspectives de vie meilleure » . Le gendre de Trump – « conseiller » au Moyen-Orient, promoteur immobilier et investisseur américain – est-il délirant ?
Après trois guerres israélo-arabes, des dizaines de milliers de morts palestiniens et des millions de réfugiés, Jared Kushner croit-il vraiment que les Palestiniens se contenteront d’argent ?
N’a-t-il pas remarqué que les Palestiniens qui ont protesté, souffert, sont morts et ont perdu leurs terres pendant 70 ans, n’ont pas manifesté dans leurs rues pour de meilleures routes, des zones franches ou un autre aéroport ?
Pense-t-il que les habitants de Gaza sont descendus dans leurs rues et ont marché vers la frontière meurtrière parce qu’ils exigent de nouvelles cliniques prénatales ? Comment peut-il humilier tout un peuple arabe en prétendant que sa liberté, sa souveraineté, son indépendance, sa dignité, sa justice et son statut de nation sont uniquement des » sujets de discussion de politiciens » ? N’y a-t-il pas de fin à cette folie ?
Non, il n’y en a pas. Pour le peu de détails qui émergent de l’accord ultime Trump-Kushner dans les journaux israéliens – le vénérable Haaretz en tête – les Palestiniens devront abandonner Jérusalem-Est pour en faire la capitale d’une future « Palestine », Israël se retirera de quelques villages à l’est et au nord de Jérusalem – le misérable Abu Dis parmi eux – pour créer une « capitale » du Potemkin, mais restera à jamais dans la Vieille Ville. L’Etat palestinien sera complètement démilitarisé (plus par « sécurité »), mais chaque colonie juive construite illégalement sur des terres arabes – pour les juifs et les juifs seulement – restera, et Israël contrôlera toute la vallée du Jourdain. Droit de restitution ? Oubliez-ça.
Et tout cela pour des milliards de dollars en projets d’infrastructure, une zone de libre-échange à Al Arish dans le Sinaï, un afflux d’argent en Cisjordanie, une nouvelle administration palestinienne – tous seraient corrompus, arrogants, séniles, Mahmoud Abbas dont la présidence n’a « pas de projets » et n’a fait « aucun effort pour des perspectives de réussite » (propos de Kushner, bien sûr) en faveur d’un nouvel homme pragmatique qui sera (ici plus délirant) encore plus souple, pacifique et complaisant que Abbas lui-même.
Tout ce non-sens dépend des largesses de l’Arabie Saoudite – dont le prince héritier semble se disputer avec le roi son père, qui ne veut pas abandonner l’initiative saoudienne originale pour un Etat palestinien avec Jérusalem comme capitale – et de la faiblesse du roi Abdallah de Jordanie, dont les difficultés financières imposées par le FMI ont provoqué des émeutes sans précédent et la chute de son gouvernement, ainsi que le soutien du maréchal/président égyptien qui serait heureux de pouvoir imposer des lois et des avantages financiers à la frontière entre l’Égypte et Gaza. Oh oui, et il n’y aura pas de contact véritable entre Gaza et la Cisjordanie. Le Hamas a été oublié, semble-t-il.
Doit-on en rire ou en pleurer ? Lorsque Trump a déplacé l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem en plein massacre de Gaza, le monde a crié – mais s’est ensuite tu. L’écran partagé de l’adulation diplomatique et des massacres à une centaine de kilomètres à peine a en quelque sorte normalisé la combinaison de la mort et de l’injustice dans le conflit israélo-arabe. Oui, ils s’en sont tirés. Si les diplomates américains peuvent attirer l’attention sur Jérusalem plutôt que sur les tirs de snipers le long de la frontière de Gaza, quelle est la prochaine étape ?
Il y a quelque chose d’étrange, presque comique, dans les photographies des « pacificateurs » diplomatiques américains assis autour du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. En Occident, nous choisissons – pour de bonnes raisons morales – de ne pas mettre l’accent sur l’origine religieuse ou ethnique des hommes. Mais les Israéliens le font, le philosophe Uri Avnery le fait, et Haaretz le souligne: tous sont juifs – au moins deux d’entre eux soutiennent avec enthousiasme la colonisation israélienne des terres palestiniennes en Cisjordanie, y compris l’ambassadeur des États-Unis en Israël qui a qualifié le groupe de pression juif modéré J Street de « pire que des kapos ».
N’était-il pas possible, au sein de l’ensemble du corps diplomatique américain et des « conseillers » américains, de trouver même un seul Américain musulman pour rejoindre l’équipe ? Les «artisans de la paix» n’auraient-ils pas bénéficié d’une seule voix d’un homme ou d’une femme qui partageait la même foi que l’ « autre » moitié sur la paix arabo-israélienne proposée ?
Mais non. Cela n’aurait rien changé. Abbas a rompu toutes les relations diplomatiques avec la Maison-Blanche depuis que Trump a reconnu Jérusalem comme capitale israélienne et a retiré son ambassadeur à Washington. L’ « accord ultime » – à l’origine l’accord d’Oslo, bien qu’il s’agisse d’un cadeau empoisonné, puis de toute une série de retraites, de réquisitions et de nouvelles occupations, puis de conférences ad hoc « anti-terroristes » – ne représente plus que l’humiliation totale du peuple palestinien : pas de Jérusalem-Est, une colonisation sans fin, pas de reconnaissance du droit de restitution, pas d’Etat, pas d’avenir. Juste de l’argent.
Par Robert Fisk
Sources: Informations Clearing House; Traduction: Réseau international