Lorsque le groupe armé « État islamique » (Daech) occupait des pans entiers de l’Irak et de la Syrie, l’attention du Moyen-Orient et du reste du monde s’est tournée vers lui, au détriment de la cause palestinienne. Les pays touchés par l’horreur daéchienne se sont alors employés à reprendre les territoires occupés du Levant et de la Mésopotamie, en éliminant l’infrastructure du groupe terroriste et en stoppant le recrutement de combattants nationaux et étrangers. L’objectif était de geler l’expansion de Daech et de l’empêcher de s’étendre à d’autres pays du Moyen-Orient. Bien des militants de groupes palestiniens comme le Hamas avaient pris les armes pour épauler soit al-Qaeda, soit Daech, principalement en Syrie, mais aussi, dans une certaine mesure, en Irak. Entre 2012 et 2018, les dirigeants politiques du Hamas ont même soutenu la guerre de l’OTAN visant un changement de régime en Syrie, ce qui leur a valu les foudres du président Bachar al-Assad, dont le gouvernement défendait le Hamas et la cause palestinienne depuis des décennies. Pendant des années, Assad a résisté aux appels des USA l’exhortant à expulser le Hamas de la Syrie, qui l’a remercié par une trahison.
Mais ces deux dernières années, la cause palestinienne a repris énormément de galon malgré les trahisons et les distractions de la dernière décennie. Aujourd’hui, tous ceux qui soutiennent la cause palestinienne sont non seulement unis contre un même ennemi (la coalition USA-Israël), mais aussi prêts à combattre à l’unisson sur de multiples fronts.
En donnant en cadeau au premier ministre israélien Benyamin Netanyahu le Golan syrien et l’ensemble de Jérusalem qu’occupe Israël, Trump a causé une énorme montée d’adrénaline parmi tous les acteurs non étatiques et mouvements de résistance au Moyen-Orient. Ces groupes, qui ont bénéficié du soutien financier et militaire de l’Iran, sont non seulement unis contre l’hégémonie des USA, mais ont réussi à se rallier pour former un front commun contre les USA et Israël. Cette nouvelle unité en faveur de la Palestine ressort clairement au Yémen, en Irak, en Syrie et au Liban.
En mai, l’acte de sabotage au port émirati d’al-Fujairah, suivi d’une attaque de drone armé que les Houthis du Yémen ont lancée contre Aramco en Arabie saoudite, constituaient des messages clairs et forts. Ces plaques tournantes émiraties et saoudiennes, qui permettent d’exporter des millions de barils de pétrole du Moyen-Orient sans avoir à passer par le détroit d’Hormuz, prendront de l’importance au cours des prochaines années. D’où la force du message : l’acte de sabotage et l’attaque du drone n’étaient qu’un avant-goût de ce qui pourrait survenir ensuite aux voies de contournement du détroit d’Hormuz pour assurer l’approvisionnement en pétrole. Aucun pays du Moyen-Orient ne pourra exporter son pétrole si on empêche l’Iran de le faire.
En outre, la politique israélienne de strangulation de Gaza a permis de réunir les différents groupes palestiniens actifs dans la ville dans un même centre opérationnel militaire contre Tsahal. Douze groupes militaires palestiniens ont uni leurs forces à Gaza et coordonnent les bombardements des villes israéliennes et d’autres cibles en réponse à la strangulation de Gaza et de ses habitants par Netanyahu.
La conclusion est simple : plus l’administration américaine et Israël méprisent de façon flagrante le droit des pays du Moyen-Orient et de leurs populations à vivre en paix entre eux et de récupérer leurs territoires occupés par Israël, plus les acteurs non étatiques prendront de la force au sein des populations où ils sont actifs.
L’Iran profite énormément des conséquences des politiques des USA et d’Israël. Son influence augmente dans diverses parties du Moyen-Orient. Il peut demander à ses partenaires de défendre ses intérêts et de le soutenir si sa sécurité nationale est menacée.
Il ne fait aucun doute que les USA profitent financièrement du maintien de l’instabilité parmi les pays du Moyen-Orient, qui renforce leur hégémonie sur les pays riches en pétrole. Continuer à dépeindre l’Iran comme l’ennemi modèle favorise la vente d’armes américaines à un niveau sans précédent. Les luttes tribales et ethniques au Moyen-Orient contribuent à maintenir les pays de cette partie du monde divisés. Les dissensions régionales empêchent aussi les pays riches en pétrole de coordonner leurs politiques, de façon à ce qu’aucun marché d’échanges commerciaux ou union monétaire ne soit possible à moyen et à long terme.
Lors de la plus récente crise entre Téhéran et Washington, l’administration américaine n’a rien fait pour protéger les pays du Golfe contre l’acte de sabotage aux Émirats et l’attaque contre Aramco. N’empêche que sa démonstration de force et ses menaces verbales – l’envoi d’un porte-avions et de bombardiers B-52 en réponse à la prétendue menace de l’Iran – ont assuré la vente d’encore plus de matériel militaire Made in USA, notamment de missiles d’interception Patriot en réponse à la menace de tirs de missiles iraniens contre les pays du Golfe, pour la modique somme de 8 milliards de dollars.
Il n’y a bien sûr pas eu de guerre et tant l’Iran que les USA ont démontré leur volonté de l’éviter à tout prix. Le secrétaire d’État des USA Mike Pompeo semble maintenant disposé à laisser tomber son ultimatum en 12 points, en disant que son pays est prêt à négocier avec l’Iran sans conditions préalables. L’empressement de Pompeo à laisser tomber ses conditions ne veut pas dire grand-chose, car l’Iran a exprimé clairement les siennes pour amorcer le dialogue avec l’administration américaine : respecter l’accord sur le nucléaire iranien et lever les sanctions. L’Iran serait alors ouvert aux discussions, mais il serait peu probable qu’il fasse la moindre concession d’ici la fin du mandat de Trump en 2020. L’Iran apparaît aujourd’hui bien plus fort et les USA bien plus faibles.
Le Hezbollah serait prêt à faire la guerre pour l’Iran et à bombarder Israël. Le Yémen sert déjà les objectifs de l’Iran en utilisant des drones contre les installations pétrolières saoudiennes. Les acteurs non étatiques irakiens ont démontré leurs capacités et les USA ont compris le message : les forces US seront prises pour cibles en Irak. À Gaza, les groupes palestiniens ont déployé leurs nouvelles armes et se sont montrés prêts à faire front commun en cas de guerre contre Israël. Cette mobilisation générale a « tordu le bras » des USA et d’Israël, en imposant une situation de « ni guerre, ni paix » au Moyen-Orient dans un avenir prévisible. Aujourd’hui, les USA et Israël possèdent des armes perfectionnées et la technologie militaire dernier cri, sauf que leurs adversaires au Moyen-Orient sont également bien équipés, même s’ils ne sont pas à un pied d’égalité. Leurs missiles de précision et leurs drones armés pourraient toutefois suffire pour maintenir le rapport de forces « nécessaire ».
Par Elijah J Magnier ; Traduction : Daniel G.