L’Algérie a motivé sa décision de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc par une série d’arguments. La raison qui semble avoir précipité la prise de cette mesure est l’annonce par le Maroc de son soutien au Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) lors d’une conférence organisée en juillet au siège de l’Onu.
«C’est pourquoi, et sur la base de tous ces facteurs et de toutes ces données, l’Algérie a décidé de rompre les relations diplomatiques avec le royaume du Maroc avec effet immédiat». C’est par cette sentence que Ramtane Lamamra, le ministre des Affaires étrangères, a achevé, lors d’une conférence de presse tenue mardi 24 août 2021, le long réquisitoire contre le Maroc. Le chef de la diplomatie algérienne, qui s’est exprimé «au nom de Monsieur le Président de la République, chef suprême des Forces armées, ministre de la Défense nationale, et au nom du gouvernement algérien», a rappelé toutes les «actions hostiles, inamicales et malveillantes» commises par le Maroc contre son pays. C’est d’ailleurs une des seules fois qu’un officiel algérien s’exprime publiquement sur la guerre des Sables qui avaient opposé les deux pays en 1963.
«Cette animosité, dont le caractère systématique, méthodique et prémédité est documenté, avait débuté avec la guerre d’agression ouverte de 1963, guerre fratricide déclenchée par les forces armées royales marocaines contre l’Algérie qui venait de reconquérir son indépendance nationale. Cette guerre dans laquelle le royaume du Maroc avait engagé des armements et des équipements lourds particulièrement meurtriers a coûté à l’Algérie 850 valeureux martyrs qui ont donné leur vie pour la préservation de l’intégrité territoriale de la patrie, dont ils avaient contribué à la libération», a indiqué le ministre des Affaires étrangères.
Le grand déballage
Dans ce grand déballage, Ramtane Lamamra est revenu sur cinq décennies de crises: «rupture brutale des relations par le Maroc en 1976; accusations de l’Algérie d’avoir commis l’attentat de Marrakech en août 1994; fermeture des frontières et imposition du visa aux ressortissants algériens; violation injustifiable de l’enceinte du consulat général algérien à Casablanca, avec la profanation du drapeau national un certain 1er novembre 2013; espionnage massif et systématique de responsables et de citoyens algériens avec le logiciel israélien Pegasus; collaboration active et documentée du royaume du Maroc avec le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) et le Rachad [mouvement islamiste proche des Frères musulmans*] deux organisations terroristes; accusations insensées et menaces proférées par le ministre israélien des Affaires étrangères en visite officielle au Maroc…».
Mais s’il y a bien un acte que l’Algérie n’est pas prête de pardonner et qui semble avoir précipité la rupture avec son voisin de l’ouest, c’est sans nul doute la note officielle distribuée par l’ambassadeur marocain auprès des Nations unies, lors d’une réunion de l’organisation des pays non-alignés qui s’est déroulée à New York les 13 et 14 juillet 2021, dans laquelle le Maroc annonçait son soutien «au droit à l’autodétermination du peuple kabyle». Alger avait condamné énergiquement cette action «destinée à cultiver un amalgame outrancier entre une question de décolonisation dûment reconnue comme telle par la communauté internationale (la question du Sahara occidental, ndlr) et ce qui n’est qu’un complot dirigé contre l’unité de la Nation algérienne». Contacté par Sputnik, Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la Communication et ambassadeur d’Algérie à Madrid de 1994 à 1998, estime que c’est cet appui franc et public aux séparatistes kabyles du MAK qui a provoqué «le point de rupture» entre les deux États.
«Le 14 juillet a été le point de rupture. L’acte en lui-même, le fait de distribuer un document officiel au siège de l’Onu, appelant la population à une sédition contre le pouvoir central, est un casus belli. C’est une déclaration de guerre. De plus, suite à cet acte, le roi du Maroc ne s’est pas excusé et n’a pas dépêché d’envoyé spécial à Alger. Le fait de n’avoir rien dit au sujet de cette note est extrêmement grave. Voilà pourquoi ce 14 juillet à New York a été le point de rupture», précise l’ancien diplomate.
L’affaire Pegasus révèle «une guerre géostratégique de leadership» entre le Maroc et l’Algérie
Abdelaziz Rahabi note cependant que «l’Algérie et le Maroc étaient quasiment dans une situation de rupture depuis plusieurs années». Il rappelle qu’il n’y a pas eu d’échanges politiques et diplomatiques, pas de visites de chefs d’États ni de chefs de gouvernement et que les frontières terrestres sont fermées depuis 1994. «Le niveau des relations diplomatiques n’était pas élevé pour dire qu’aujourd’hui il y a une baisse», dit-il. Concrètement, quelles mesures devrait prendre Alger dans le cadre de cette rupture?
«Sur le plan technique, une rupture signifie la fermeture de son ambassade puis confier ses intérêts à un autre pays. L’Algérie peut laisser un ou deux diplomates prendre une section au sein de l’ambassade de ce pays ami pour gérer les affaires courantes. Lorsque l’Iran avait rompu ses relations avec les États-Unis, Téhéran avait confié ses intérêts à l’ambassade d’Algérie à Washington. Les usages veulent que si un État n’a plus de relations avec un autre État, celui-ci doit fermer son ambassade et rappeler son ambassadeur. Le Maroc peut agir autrement. En 1976, lors de la première rupture des relations entre les deux pays, l’ambassade du Maroc à Alger était restée fonctionnelle», rappelle-t-il.
Côté marocain, la décision de rupture de l’Algérie a donné lieu à deux réactions officielles quelques heures après la conférence de presse de Ramtane Lamamra. La première est du chef du gouvernement marocain Saad-Eddine El Othmani qui s’est exprimé sur le site de Maghreb Voices, un média en ligne financé par le département d’État américain.
Source: Sputnik